Les Mystères de Paris

| 7.14 - Le guichet

 

 

 

XIV

Le guichet


Malgré le bruit qu’elle venait d’entendre à sa porte, Cecily n’en continua pas moins tranquillement sa toilette de nuit ; elle retira de son corsage, où il était à peu près placé comme un buse, un stylet long de cinq à six pouces, enfermé dans un étui de chagrin noir et emmanché dans une petite poignée d’ébène cerclée de fils d’argent, poignée fort simple, mais parfaitement à la main.
 
Ce n’était pas là une arme de luxe.
 
Cecily ôta le stylet de son fourreau avec une excessive précaution et le posa sur le marbre de sa cheminée ; la lame, de la meilleure trempe et du plus fin damas, était triangulaire, à arêtes tranchantes ; sa pointe, aussi acérée que celle d’une aiguille, eût percé une piastre sans s’émousser.
 
Imprégné d’un venin subtil et persistant, la moindre piqûre de ce poignard devenait mortelle.
 
Jacques Ferrand ayant un jour mis en doute la dangereuse propriété de cette arme, la créole fit devant lui une expérience in anima vili, c’est-à-dire sur l’infortuné chien de la maison qui, légèrement piqué au nez, tomba et mourut dans d’horribles convulsions.
 
Le stylet déposé sur la cheminée, Cecily, quittant son spencer de drap noir, resta, les épaules, le sein et les bras nus, ainsi qu’une femme en toilette de bal.
 
Selon l’habitude de la plupart des filles de couleur, elle portait, au lieu de corset, un second corsage de double toile qui lui serrait étroitement la taille ; sa jupe orange, restant attachée sous cette sorte de canezou blanc à manches courtes et très-décolleté, composait ainsi un costume beaucoup moins sévère que le premier et s’harmoniait à merveille avec les bas écarlates et la coiffure de madras si capricieusement chiffonnée autour de la tête de la créole. Rien de plus pur, de plus accompli que les contours de ses bras et de ses épaules, auxquelles deux mignonnes fossettes et un petit signe noir, velouté, coquet, donnaient une grâce de plus.
 
Un soupir profond attira l’attention de Cecily.
 
Elle sourit en roulant autour de l’un de ses doigts effilés quelques boucles de cheveux qui s’échappaient des plis de son madras.
 
– Cecily !… Cecily !… murmura une voix à la fois rude et plaintive.
 
Et, à travers l’étroite ouverture du guichet, apparut la face blême et camuse de Jacques Ferrand ; ses prunelles étincelaient dans l’ombre.
 
Cecily, muette jusqu’alors, commença de chanter doucement un air créole.
 
Les paroles de cette lente mélodie étaient suaves et expressives. Quoique contenu, le mâle contralto de Cecily dominait le bruit des torrents de pluie et les violentes rafales de vent qui semblaient ébranler la vieille maison jusque dans ses fondements.
 
– Cecily !… Cecily !… répéta Jacques Ferrand d’un ton suppliant.
 
La créole s’interrompit tout à coup, tourna brusquement la tête, parut entendre pour la première fois la voix du notaire et s’approcha nonchalamment de la porte.
 
– Comment ! cher maître (elle l’appelait ainsi par dérision), vous êtes là, dit-elle avec un léger accent étranger qui donnait un charme de plus à sa voix mordante et sonore.
 
– Oh ! que vous êtes belle ainsi ! murmura le notaire.
 
– Vous trouvez ? répondit la créole ; ce madras sied bien à mes cheveux noirs, n’est-ce pas ?
 
– Chaque jour je vous trouve plus belle encore.
 
– Et mon bras, voyez donc comme il est blanc.
 
– Monstre… va-t’en ! va-t’en !… s’écria Jacques Ferrand furieux.
 
Cecily se mit à rire aux éclats.
 
– Non, non, c’est trop souffrir… Oh ! si je ne craignais la mort, s’écria sourdement le notaire ; mais mourir, c’est renoncer à vous voir, et vous êtes si belle !… J’aime encore mieux souffrir et vous regarder.
 
– Regardez-moi… ce guichet est fait pour cela… et aussi pour que nous puissions causer comme deux amis… et charmer ainsi notre solitude… qui vraiment ne me pèse pas trop… Vous êtes si bon maître ! Voilà de ces dangereux aveux que je puis faire à travers cette porte…
 
– Et cette porte, vous ne voulez pas l’ouvrir ? Voyez pourtant comme je suis soumis ! Ce soir, j’aurais pu essayer d’entrer avec vous dans cette chambre… je ne l’ai pas fait.
 
– Vous êtes soumis par deux raisons… D’abord parce que vous savez qu’ayant, par une nécessité de ma vie errante, pris l’habitude de porter un stylet… je manie d’une main ferme ce bijou venimeux, plus acéré que la dent d’une vipère… Vous savez aussi que du jour où j’aurais à me plaindre de vous, je quitterais à jamais cette maison, vous laissant mille fois plus épris encore… puisque vous avez bien voulu faire la grâce à votre indigne servante de vous éprendre d’elle.
 
– Ma servante ! C’est moi qui suis votre esclave… votre esclave moqué, méprisé…
 
– C’est assez vrai…
 
– Et cela ne vous touche pas ?
 
– Cela me distrait… Les journées… et surtout les nuits sont si longues !…
 
– Oh ! la maudite !
 
– Non, sérieusement, vous avez l’air si complètement égaré, vos traits s’altèrent si sensiblement, que j’en suis flattée… C’est un pauvre triomphe, mais vous êtes seul ici…
 
– Entendre cela… et ne pouvoir que se consumer dans une rage impuissante !
 
– Avez-vous peu d’intelligence ! ! ! Jamais, peut-être, je ne vous ai rien dit de plus tendre…
 
– Raillez… raillez…
 
– Je ne raille pas ; je n’avais pas encore vu d’homme de votre âge… amoureux à votre façon… et, il faut en convenir, un homme jeune et beau serait incapable d’une de ces passions enragées. Un Adonis s’admire autant qu’il vous admire… il aime du bout des dents… Et puis le favoriser… quoi de plus simple ? cela lui est dû… à peine en est-il reconnaissant ; mais favoriser un homme comme vous, mon maître… oh ! ce serait le ravir de la terre au ciel, ce serait combler ses rêves les plus insensés, ses espérances les plus impossibles ! Car enfin, l’être qui vous dirait : « Vous aimez Cecily éperdument ; si je le veux, elle sera à vous dans une seconde… » vous croiriez cet être doué d’une puissance surnaturelle… n’est-ce pas, cher maître ?
 
– Oui, oh ! oui…
 
– Eh bien ! si vous saviez me mieux convaincre de votre passion, j’aurais peut-être la bizarre fantaisie de jouer auprès de moi-même, en votre faveur, ce rôle surnaturel… Comprenez-vous ?
 
– Je comprends que vous me raillez encore… toujours et sans pitié !
 
– Peut-être… la solitude fait naître de si étranges fantaisies !…
L’accent de Cecily avait jusqu’alors été sardonique ; mais elle dit ces derniers mots, avec une expression sérieuse, réfléchie, et les accompagna d’un long coup d’œil qui fit tressaillir le notaire.
 
– Taisez-vous ! Ne me regardez pas ainsi : vous me rendrez fou… J’aimerais mieux que vous me disiez : « Jamais !… » Au moins, je pourrais vous abhorrer, vous chasser de ma maison ! s’écria Jacques Ferrand, qui s’abandonnait encore à une vaine espérance. Oui, car je n’attendrais rien de vous. Mais malheur ! malheur !… je vous connais maintenant assez pour espérer, malgré moi, qu’un jour je devrais peut-être à votre désœuvrement ou à un de vos dédaigneux caprices ce que je n’obtiendrai jamais de votre amour… Vous me dites de vous convaincre de ma passion ; ne voyez-vous pas combien je suis malheureux, mon Dieu ?… Je fais pourtant tout ce que je peux pour vous plaire… Vous voulez être cachée à tous les yeux, je vous cache à tous les yeux, peut-être au risque de me compromettre gravement ; car enfin, moi, je ne sais pas qui vous êtes ; je respecte votre secret, je ne vous en parle jamais… Je vous ai interrogée sur votre vie passée… vous ne m’avez pas répondu…
 
– Eh bien ! j’ai eu tort ; je vais vous donner une marque de confiance aveugle, ô mon maître ! Écoutez-moi donc.
 
– Encore une plaisanterie amère, n’est-ce pas ?
 
– Non… c’est très-sérieux… Il faut au moins que vous connaissiez la vie de celle à qui vous donnez une si généreuse hospitalité… Et Cecily ajouta d’un ton de componction hypocrite et larmoyante : Fille d’un brave soldat, frère de ma tante Pipelet, j’ai reçu une éducation au-dessus de mon état ; j’ai été séduite, puis abandonnée par un jeune homme riche. Alors, pour échapper au courroux de mon vieux père, intraitable sur l’honneur, j’ai fui mon pays natal… Puis, éclatant de rire, Cecily ajouta : Voilà, j’espère, une petite histoire très-présentable et surtout très-probable, car elle a été souvent racontée. Amusez toujours votre curiosité avec cela, en attendant quelque révélation plus piquante.
 
– J’étais bien sûr que c’était une cruelle plaisanterie, dit le notaire avec une rage concentrée. Rien ne vous touche… rien… que faut-il faire ? Parlez donc au moins. Je vous sers comme le dernier des valets, pour vous je néglige mes plus chers intérêts, je ne sais plus ce que je fais… je suis un sujet de surprise, de risée pour mes clercs… mes clients hésitent à me laisser leurs affaires… J’ai rompu avec quelques personnes pieuses que je voyais… je n’ose penser à ce que dit le public de ce renversement de toutes mes habitudes… Mais vous ne savez pas, non, vous ne savez pas les funestes conséquences que ma folle passion peut avoir pour moi… Voilà cependant des preuves de dévouement, des sacrifices… En voulez-vous d’autres ?… Parlez ! Est-ce de l’or qu’il vous faut ? On me croit plus riche que je ne le suis… mais je…
 
– Que voulez-vous que je fasse maintenant de votre or ? dit Cecily en interrompant le notaire et en haussant les épaules ; pour habiter cette chambre… à quoi bon de l’or ?… Vous êtes peu inventif !
 
– Mais ce n’est pas ma faute, à moi, si vous êtes prisonnière… Cette chambre vous déplaît-elle ? La voulez-vous plus magnifique ? Parlez… ordonnez…
 
– À quoi bon, encore une fois, à quoi bon ?… Oh ! si je devais y attendre un être adoré… brûlant de l’amour qu’il inspire et qu’il partage, je voudrais de l’or, de la soie, des fleurs, des parfums ; toutes les merveilles du luxe, rien de trop somptueux, de trop enchanteur pour servir de cadre à mes ardentes amours, dit Cecily avec un accent passionné qui fit bondir le notaire.
 
– Eh bien ! ces merveilles de luxe… dites un mot, et…
 
– À quoi bon ? À quoi bon ? Que faire d’un cadre sans tableau ?… Et l’être adoré, où serait-il… ô mon maître ?
 
– C’est vrai !… s’écria le notaire avec amertume. Je suis vieux… je suis laid… je ne peux inspirer que le dégoût et l’aversion… Elle m’accable de mépris… elle se joue de moi… et je n’ai pas la force de la chasser… Je n’ai que la force de souffrir.
 
– Oh ! l’insupportable pleurard, oh ! le niais personnage avec ses doléances ! s’écria Cecily d’un ton sardonique et méprisant ; il ne sait que gémir, que se désespérer… et il est depuis dix jours… enfermé seul avec une jeune femme… au fond d’une maison déserte…
 
– Mais cette femme me dédaigne… mais cette femme est armée… mais cette femme est enfermée !… s’écria le notaire avec fureur.
 
– Eh bien ! surmonte le dédain de cette femme ; fais tomber le poignard de sa main ; contrains-la à ouvrir cette porte qui te sépare d’elle… et cela non par la force brutale… elle serait impuissante…
 
– Et comment alors ?
 
– Par la force de ta passion…
 
– La passion… et puis-je en inspirer, mon Dieu ?
 
– Tiens, tu n’es qu’un notaire doublé de sacristain… tu me fais pitié… Est-ce à moi à t’apprendre ton rôle ?… Tu es laid… sois terrible : on oubliera ta laideur. Tu es vieux… sois énergique : on oubliera ton âge. Tu es repoussant… sois menaçant. Puisque tu ne peux être le noble cheval qui hennit fièrement au milieu de ses cavales amoureuses, ne sois pas du moins le stupide chameau qui plie les genoux et tend le dos… sois tigre… un vieux tigre qui rugit au milieu du carnage a encore sa beauté… sa tigresse lui répond du fond du désert…
 
À ce langage qui n’était pas sans une sorte d’éloquence naturelle et hardie, Jacques Ferrand tressaillit, frappé de l’expression sauvage, presque féroce, des traits de Cecily, qui, le sein gonflé, la narine ouverte, la bouche insolente, attachait sur lui de grands yeux noirs et brûlants.
 
Jamais elle ne lui avait paru plus belle…
 
– Parlez, parlez encore, s’écria-t-il avec exaltation, vous parlez sérieusement cette fois… Oh ! si je pouvais !…
 
– On peut ce qu’on veut, dit brusquement Cecily.
 
– Mais…
 
– Mais je te dis que si vieux, si repoussant que tu sois… je voudrais être à ta place, et avoir à séduire une femme belle, ardente et jeune, que la solitude m’aurait livrée, une femme qui comprend tout… parce qu’elle est peut-être capable de tout… oui, je la séduirais. Et, une fois ce but atteint, ce qui aurait été contre moi tournerait à mon avantage… Quel orgueil, quel triomphe de se dire : « J’ai su me faire pardonner mon âge et ma laideur ! L’amour qu’on me témoigne je ne le dois pas à la pitié, à un caprice dépravé : je le dois à mon esprit, à mon audace, à mon énergie… je le dois enfin à ma passion effrénée… Oui, et maintenant ils seraient là de beaux jeunes gens, brillants de grâce et de charme, que cette femme si belle, que j’ai vaincue par les preuves sans bornes d’une passion effrénée, n’aurait pas un regard pour eux ; non… car elle saurait que ces élégants efféminés craindraient de compromettre le nœud de leur cravate ou une boucle de leur chevelure pour obéir à un de ses ordres fantasques… tandis qu’elle jetterait son mouchoir au milieu des flammes, que, sur un signe d’elle, son vieux tigre se précipiterait dans la fournaise avec un rugissement de joie. »
 
– Oui, je le ferais !… Essayez, essayez ! s’écria Jacques Ferrand de plus en plus exalté.
 
Cecily continua en s’approchant davantage du guichet et en attachant sur Jacques Ferrand un regard fixe et pénétrant.
 
– Car cette femme saurait bien, reprit la créole, qu’elle aurait un caprice exorbitant à satisfaire… que ces beaux fils regarderaient à leur argent s’ils en avaient, ou, s’ils n’en avaient pas, à une bassesse… tandis que son vieux tigre…
 
– Ne regarderait à rien… lui… entendez-vous ? à rien… Fortune… honneur… Il saurait tout sacrifier, lui !…
 
– Vrai ?… dit Cecily en posant ses doigts charmants sur les doigts osseux et velus de Jacques Ferrand, dont les mains crispées, passant au travers du guichet, étreignaient l’épaisseur de la porte.
 
Pour la première fois il sentait le contact de la peau fraîche et polie de la créole. Il devint plus pâle encore, poussa une sorte d’aspiration rauque.
 
– Comment cette femme ne serait-elle pas ardemment passionnée ? ajouta Cecily. Aurait-elle un ennemi, que, le désignant du regard à son vieux tigre… elle lui dirait : « Frappe… » et…
 
– Et il frapperait ! s’écria Jacques Ferrand en tâchant d’approcher du bout des doigts de Cecily ses lèvres desséchées.
 
– Vrai ?… le vieux tigre frapperait ? dit la créole en appuyant doucement sa main sur la main de Jacques Ferrand.
 
– Pour te posséder, s’écria le misérable, je crois que je commettrais un crime…
 
– Tiens, maître…, dit tout à coup Cecily en retirant sa main, à ton tour va-t’en… je ne te reconnais plus ; tu ne me parais plus si laid… que tout à l’heure… va-t’en.
 
Elle s’éloigna brusquement du guichet.
 
La détestable créature sut donner à son geste et à ces dernières paroles un accent de vérité si incroyable ; son regard, à la fois surpris, brûlant et courroucé, semblait exprimer si naturellement son dépit d’avoir un moment oublié la laideur de Jacques Ferrand, que celui-ci, transporté d’une espérance frénétique, s’écria en se cramponnant aux barreaux du guichet :
 
– Cecily… reviens… reviens… ordonne… je serai ton tigre…
 
– Non, non, maître…, dit Cecily en s’éloignant de plus en plus du guichet, et pour conjurer le diable qui me tente… je vais chanter une chanson de mon pays… Maître, entends-tu ?… Au-dehors le vent redouble, la tempête se déchaîne… quelle belle nuit pour deux amants, assis côte à côte auprès d’un beau feu pétillant !…
 
– Cecily… reviens !… cria Jacques Ferrand d’un ton suppliant.
 
– Non, non, plus tard… quand je le pourrai sans danger… mais la lumière de cette lampe blesse ma vue… une douce langueur appesantit mes paupières… Je ne sais quelle émotion m’agite… une demi-obscurité me plaira davantage… on dirait que je suis dans le crépuscule du plaisir…
 
Et Cecily alla vers la cheminée, éteignit la lampe, prit une guitare suspendue au mur et attisa le feu, dont les flamboyantes lueurs éclairèrent alors cette vaste pièce.
 
De l’étroit guichet où il se tenait immobile, tel était le tableau qu’apercevait Jacques Ferrand.
 
Au milieu de la zone lumineuse formée par les tremblantes clartés du foyer, Cecily, dans une pose pleine de mollesse et d’abandon, à demi couchée sur un vaste divan de damas grenat, tenait une guitare dont elle tirait quelques harmonieux préludes.
 
Le foyer embrasé jetait ses reflets vermeils sur la créole, qui apparaissait ainsi vivement éclairée au milieu de l’obscurité du reste de la chambre.
 
Pour compléter l’effet de ce tableau, que le lecteur se rappelle l’aspect mystérieux, presque fantastique, d’un appartement où la flamme de la cheminée lutte contre les grandes ombres noires qui tremblent au plafond et sur les murailles…
 
L’ouragan redoublait de violence, on l’entendait mugir au-dehors.
 
Tout en préludant sur sa guitare, Cecily attachait opiniâtrement son regard magnétique sur Jacques Ferrand, qui, fasciné, ne la quittait pas des yeux.
 
– Tenez, maître, dit la créole, écoutez une chanson de mon pays ; nous ne savons pas faire de vers, nous disons un simple récitatif sans rimes, et entre chaque repos nous improvisons tant bien que mal une cantilène appropriée à l’idée du couplet ; c’est très-naïf et très-pastoral, cela vous plaira, j’en suis sûre, maître… Cette chanson s’appelle La Femme amoureuse ; c’est elle qui parle.
 
Et Cecily commença une sorte de récitatif bien plus accentué par l’expression de la voix que par la modulation du chant.
 
Quelques accords, doux et frémissants, servaient d’accompagnement.
 
Telle était la chanson de Cecily :
 
Des fleurs, partout des fleurs…
 
Mon amant va venir ! L’attente du bonheur et me brise et m’énerve.
 
Adoucissons l’éclat du jour, la volupté cherche une ombre transparente.
 
Au frais parfum des fleurs mon amant préfère ma chaude haleine…
 
L’éclat du jour ne blessera pas ses yeux, car ses paupières, sous mes baisers, resteront closes.
 
Mon ange, oh ! viens… mon sein bondit, mon sang brûle…
 
Viens… viens… viens…
 
Ces paroles, dites avec autant d’ardeur impatiente que si la créole se fût adressée à un amant invisible, furent ensuite pour ainsi dire traduites par elle dans un thème d’une mélodie enchanteresse ; ses doigts charmants tiraient de sa guitare, instrument ordinairement peu sonore, des vibrations pleines d’une suave harmonie.
 
La physionomie animée de Cecily, ses yeux voilés, humides, toujours attachés sur ceux de Jacques Ferrand, exprimaient les brûlantes langueurs de l’attente.
 
Paroles amoureuses, musique enivrante, regards enflammés, beauté sensuellement idéale, au-dehors le silence, la nuit… tout concourait en ce moment à égarer la raison de Jacques Ferrand.
 
Aussi, éperdu, s’écria-t-il :
 
– Grâce… Cecily !… Grâce !… C’est à en perdre la tête !… Tais-toi, c’est à mourir !… Oh ! je voudrais être fou !…
 
– Écoutez donc le second couplet, maître, dit la créole en préludant de nouveau.
 
Et elle continua son récitatif passionné :
 
Si mon amant était là et que sa main effleurât mon épaule nue, je me sentirais frissonner et mourir…
 
S’il était là… et que ses cheveux effleurassent ma joue, ma joue si pâle deviendrait pourpre…
 
Ma joue si pâle serait en feu…
 
Âme de mon âme, si tu étais là… mes lèvres desséchées, mes lèvres avides ne diraient pas une parole…
 
Vie de ma vie, si tu étais là, ce n’est pas moi qui, expirante… demanderais grâce…
 
Ceux que j’aime comme je t’aime… je les tue…
 
Mon ange, oh ! viens… mon sein bondit… mon sang brûle…
 
Viens… viens… viens…
 
Si la créole avait accentué la première strophe avec une langueur voluptueuse, elle mit dans ces dernières paroles tout l’emportement de l’amour antique.
 
Et, comme si la musique eût été impuissante à exprimer son fougueux délire, elle jeta sa guitare loin d’elle… et se levant à demi en tendant les bras vers la porte où se tenait Jacques Ferrand, elle répéta d’une voix éperdue, mourante :
 
– Oh ! viens… viens… viens…
 
Peindre le regard électrique dont elle accompagna ces paroles serait impossible…
 
Jacques Ferrand poussa un cri terrible.
 
– Oh ! la mort… la mort à celui que tu aimerais ainsi… à qui tu dirais ces paroles brûlantes ! s’écria-t-il en ébranlant la porte dans un emportement de jalousie et d’ardeur furieuse. Oh !… ma fortune… ma vie pour une minute de cette volupté dévorante… que tu peins en traits de flamme.
 
Souple comme une panthère, d’un bond Cecily fut au guichet ; et, comme si elle eût difficilement concentré ses feints transports, elle dit à Jacques Ferrand d’une voix basse, concentrée, palpitante :
 
– Eh bien !… je te l’avoue… je me suis embrasée moi-même… aux ardentes paroles de cette chanson. Je ne voulais pas revenir à cette porte… et m’y voilà revenue… malgré moi… car j’entends encore tes paroles de tout à l’heure : « Si tu me disais : frappe… je frapperais… » Tu m’aimes donc bien ?
 
– Veux-tu… de l’or… tout mon or ?…
 
– Non… j’en ai…
 
– As-tu un ennemi ? je le tue.
 
– Je n’ai pas d’ennemi…
 
– Veux-tu être ma femme ? je t’épouse.
 
– Je suis mariée !…
 
– Mais que veux-tu donc alors ? Mon Dieu !… Que veux-tu donc ?…
 
– Prouve-moi que ta passion pour moi est aveugle, furieuse, que tu lui sacrifierais tout !…
 
– Tout ! oui, tout ! mais comment ?
 
– Je ne sais… mais il y a un instant l’éclat de tes yeux m’a éblouie… Si à cette heure tu me donnais une de ces marques d’amour forcené qui exaltent l’imagination d’une femme jusqu’au délire… je ne sais pas de quoi je serais capable !… Hâte-toi ! je suis capricieuse ; demain, l’impression de tout à l’heure sera peut-être effacée.
 
– Mais quelle preuve puis-je te donner ici, à l’instant ? cria le misérable en se tordant les mains. C’est un supplice atroce ! Quelle preuve ? dis, quelle preuve ?
 
– Tu n’es qu’un sot ! répondit Cecily en s’éloignant du guichet avec une apparence de dépit dédaigneux et irrité. Je me suis trompée ! Je te croyais capable d’un dévouement énergique ! Bonsoir… C’est dommage…
 
– Cecily… oh ! ne t’en va pas… reviens… Mais que faire ? dis-le-moi au moins. Oh ! ma tête s’égare… que faire ? Mais que faire ?
 
– Cherche…
 
– Mon Dieu ! Mon Dieu !
 
– Cherche…
 
– Mon Dieu ! Mon Dieu !
 
– Je n’étais que trop disposée à me laisser séduire si tu l’avais voulu… tu ne retrouveras pas une occasion pareille.
 
– Mais enfin… on dit ce qu’on veut ! s’écria le notaire presque insensé.
 
– Devine…
 
– Explique-toi… ordonne…
 
– Eh ! si tu me désirais aussi passionnément que tu le dis… tu trouverais le moyen de me persuader… Bonsoir…
 
– Cecily !
 
– Je vais fermer ce guichet… au lieu d’ouvrir cette porte…
 
– Grâce ! Écoute…
 
– Un moment j’avais pourtant cru que ma tête se montait… ce foyer s’éteint… l’obscurité serait venue… je n’aurais plus songé qu’à ton dévouement ; alors ce verrou… mais, non… tu ne veux pas… oh ! tu ne sais pas ce que tu perds… Bonsoir, saint homme…
 
– Cecily… écoute… reste… j’ai trouvé… s’écria Jacques Ferrand après un moment de silence et avec une explosion de joie impossible à rendre.
 
Le misérable fut alors frappé de vertige.
 
Une vapeur impure obscurcit son intelligence : livré aux appétits aveugles et furieux de la brute, il perdit toute prudence… toute réserve… l’instinct de sa conservation morale l’abandonna…
 
– Eh bien ! cette preuve de ton amour ? dit la créole, qui, s’étant rapprochée de la cheminée pour y prendre son poignard, revint lentement près du guichet, doucement éclairée par la lueur du foyer…
 
Puis, sans que le notaire s’en aperçût, elle s’assura du jeu d’une chaînette de fer qui reliait deux pitons, dont l’un était vissé dans la porte, l’autre dans le chambranle.
 
– Écoute, dit Jacques Ferrand d’une voix rauque et entrecoupée, écoute… Si je mettais mon honneur… ma fortune… ma vie à ta merci… là… à l’instant… croirais-tu que je t’aime ? Cette preuve de folle passion te suffirait-elle, dis ?
 
– Ton honneur… ta fortune… ta vie ?… Je ne te comprends pas.
 
– Si je te livre un secret qui peut me faire monter sur l’échafaud, seras-tu à moi ?
 
– Toi… criminel ? Tu railles… Et ton austérité ?
 
– Mensonge…
 
– Ta probité ?
 
– Mensonge…
 
– Ta piété ?
 
– Mensonge…
 
– Tu passes pour un saint, et tu serais un démon !… Tu te vantes… Non, il n’y a pas d’homme assez habilement rusé, assez froidement énergique, assez heureusement audacieux pour capter ainsi la confiance et le respect des hommes… Ce serait un sarcasme infernal, un épouvantable défi jeté à la face de la société !
 
– Je suis cet homme… J’ai jeté ce sarcasme et ce défi à la face de la société ! s’écria le monstre dans un accès d’épouvantable orgueil.
 
– Jacques !… Jacques !… Ne parle pas ainsi ! dit Cecily d’une voix stridente et le sein palpitant ; tu me rendrais folle…
 
– Ma tête pour tes caresses… veux-tu ?
 
– Ah ! voilà donc de la passion enfin !… s’écria Cecily. Tiens… prends mon poignard… tu me désarmes…
 
Jacques Ferrand prit, à travers le guichet, l’arme dangereuse avec précaution et la jeta au loin dans le corridor.
 
– Cecily… tu me crois donc ? s’écria-t-il avec transport.
 
– Si je te crois ! dit la créole en appuyant avec force ses deux mains charmantes sur les mains crispées de Jacques Ferrand. Oui, je te crois… car je retrouve ton regard de tout à l’heure, ce regard qui m’avait fascinée… Tes yeux étincellent d’une ardeur sauvage. Jacques… je les aime, tes yeux !
 
– Cecily ! ! !
 
– Tu dois dire vrai…
 
– Si je dis vrai !… Oh ! tu vas voir.
 
– Ton front est menaçant… Ta figure redoutable… Tiens, tu es effrayant et beau comme un tigre en fureur… Mais tu dis vrai, n’est-ce pas ?
 
– J’ai commis des crimes, te dis-je !
 
– Tant mieux… si par leur aveu tu me prouves ta passion…
 
– Et si je dis tout ?
 
– Je t’accorde tout… Car si tu as cette confiance aveugle, courageuse… vois-tu, Jacques… ce ne serait plus l’amant idéal de la chanson que j’appellerais. C’est à toi… mon tigre… à toi… que je dirais : « Viens… viens… viens… »
 
En disant ces mots avec une expression avide et ardente, Cecily s’approcha si près, si près du guichet, que Jacques Ferrand sentit sur sa joue le souffle embrasé de la créole et sur ses doigts velus l’impression électrique de ses lèvres fraîches et fermes…
 
– Oh ! tu seras à moi… je serai ton tigre ! s’écria-t-il. Et après, si tu le veux, tu me déshonoreras, tu feras tomber ma tête… Mon honneur, ma vie, tout est à toi maintenant…
 
– Ton honneur ?
 
– Mon honneur ! Écoute. Il y a dix ans, on m’avait confié une enfant et deux cent mille francs qu’on lui destinait. J’ai abandonné l’enfant ; je l’ai fait passer pour morte au moyen d’un faux acte de décès, et j’ai gardé l’argent…
 
– C’est habile et hardi… Qui aurait cru cela de toi ?
 
– Écoute encore. Je haïssais mon caissier… Un soir, il avait pris chez moi un peu d’or qu’il m’a restitué le lendemain ; mais, pour perdre ce misérable, je l’ai accusé de m’avoir volé une somme considérable. On m’a cru ; on l’a jeté en prison… Maintenant mon honneur est-il à ta merci ?
 
– Oh !… tu m’aimes… Jacques… tu m’aimes… Me livrer ainsi tes secrets ! Quel empire ai-je donc sur toi ?… Je ne serai pas ingrate… Donne ce front où sont nées tant d’infernales pensées… que je le baise…
 
– Oh ! s’écria le notaire en balbutiant, l’échafaud serait là… dressé, que je ne reculerais pas… Écoute encore… Cette enfant autrefois abandonnée s’est retrouvée sur mon chemin… Elle m’inspirait des craintes… je l’ai fait tuer…
 
– Toi ?… Et comment ? Où cela ?…
 
– Il y a peu de jours… près du pont d’Asnières… à l’île du Ravageur… un nommé Martial l’a noyée dans un bateau à soupape… Voilà-t-il assez de détails ? Me croiras-tu ?
 
– Oh ! démon… d’enfer… tu m’épouvantes, et pourtant tu m’attires… tu me passionnes… Quel est donc ton pouvoir ?
 
– Écoute encore… Avant cela, un homme m’avait confié cent mille écus… Je l’ai fait tomber dans un guet-apens… je lui ai brûlé la cervelle… J’ai prouvé qu’il s’était suicidé, et j’ai nié le dépôt que sa sœur réclamait. Maintenant ma vie est à ta merci… Ouvre.
 
– Jacques… tiens, je t’adore ! dit la créole avec exaltation.
 
– Oh ! viennent mille morts… et je les brave ! s’écria le notaire dans un enivrement impossible à peindre. Oui, tu avais raison ; je serais jeune, charmant, que je n’éprouverais pas cette joie triomphante… La clef ! Jette-moi la clef !… Tire le verrou…
 
La créole ôta la clef de la serrure, fermée en dedans, et la donna au notaire par le guichet en lui disant éperdument :
 
– Jacques… je suis folle !…
 
– Tu es à moi enfin ! s’écria-t-il avec un rugissement sauvage, en faisant précipitamment tourner le pêne de la serrure.
 
Mais la porte, fermée au verrou, ne s’ouvrit pas encore.
 
– Viens, mon tigre ! Viens…, dit Cecily d’une voix mourante.
 
– Le verrou… le verrou !… s’écria Jacques Ferrand.
 
– Mais si tu me trompais !… s’écria tout à coup la créole. Si ces secrets… tu les inventais pour te jouer de moi !…
 
Le notaire resta un moment frappé de stupeur. Il se croyait au terme de ses vœux ; ce dernier temps d’arrêt mit le comble à son impatiente furie.
 
Il porta rapidement la main à sa poitrine, ouvrit son gilet, rompit avec violence une chaînette d’acier à laquelle était suspendu un petit portefeuille rouge, le prit, et, le montrant par le guichet à Cecily, il lui dit d’une voix oppressée, haletante :
 
– Voilà de quoi faire tomber ma tête. Tire le verrou, le portefeuille est à toi…
 
– Donne, mon tigre !… s’écria Cecily.
 
Et, tirant bruyamment le verrou d’une main, de l’autre elle saisit le portefeuille…
 
Mais Jacques Ferrand ne le lui abandonna qu’au moment où il sentit la porte céder sous son effort…
 
Mais si la porte céda, elle ne fit que s’entrebâiller de la largeur d’un demi-pied environ, retenue qu’elle était à la hauteur de la serrure par la chaîne et les pitons.
 
À cet obstacle imprévu, Jacques Ferrand se précipita contre la porte et l’ébranla d’un effort désespéré.
 
Cecily, avec la rapidité de la pensée, prit le portefeuille entre ses dents, ouvrit la croisée, jeta dans la cour un manteau, et aussi leste que hardie, se servant d’une corde à nœuds fixée à l’avance au balcon, elle se laissa glisser du premier étage dans la cour, rapide et légère comme une flèche qui tombe à terre…
 
Puis, s’enveloppant à la hâte dans le manteau, elle courut à la loge du portier, l’ouvrit, tira le cordon, sortit dans la rue et sauta dans une voiture qui, depuis l’entrée de Cecily chez Jacques Ferrand, venait chaque soir, à tout événement, par ordre du baron de Graün, stationner à vingt pas de la maison du notaire…
 
Cette voiture partit au grand trot de deux vigoureux chevaux.
 
Elle atteignit le boulevard avant que Jacques Ferrand se fût aperçu de la fuite de Cecily.
 
Revenons à ce monstre.
 
Par l’entrebâillement de la porte, il ne pouvait apercevoir la fenêtre dont la créole s’était servie pour préparer et assurer sa fuite… D’un dernier coup furieux de ses larges épaules, Jacques Ferrand fit éclater la chaîne qui tenait la porte entr’ouverte…
 
Il se précipita dans la chambre…
 
Il ne trouva personne…
 
La corde à nœuds se balançait encore au balcon de la croisée, où il se pencha…
 
Alors, de l’autre côté de la cour, à la clarté de la lune, qui se dégageait des nuages amoncelés par l’ouragan, il vit, dans l’enfoncement de la voûte d’entrée, la porte cochère ouverte.
 
Jacques Ferrand devina tout.
 
Une dernière lueur d’espoir lui restait.
 
Vigoureux et déterminé, il enjamba le balcon, se laissa glisser à son tour dans la cour au moyen de la corde et sortit en hâte de sa maison.
 
La rue était déserte…
 
Il ne vit personne.
 
Il n’entendit d’autre bruit que le roulement lointain de la voiture qui emportait rapidement la créole.
 
Le notaire pensa que c’était quelque carrosse attardé et n’attacha aucune attention à cette circonstance.
 
Ainsi pour lui aucune chance de retrouver Cecily, qui emportait avec elle la preuve de ses crimes !…
 
À cette épouvantable certitude, il tomba foudroyé sur une borne placée à sa porte.
 
Il resta longtemps là, muet, immobile, pétrifié.
 
Les yeux fixes, hagards, les dents serrées, la bouche écumante, labourant machinalement de ses ongles sa poitrine qu’il ensanglantait, il sentait sa pensée s’égarer et se perdre dans un abîme sans fond.
 
Lorsqu’il sortit de sa stupeur, il marchait pesamment et d’un pas mal assuré ; les objets vacillaient à sa vue comme s’il sortait d’une ivresse profonde…
 
Il ferma violemment la porte de la rue et rentra dans sa cour…
 
La pluie avait cessé.
 
Le vent, continuant de souffler avec force, chassait de lourdes nuées grises qui voilaient, sans l’obscurcir, la clarté de la lune, dont la lumière blafarde éclairait la maison.
 
Un peu calmé par l’air vif et froid de la nuit, Jacques Ferrand, espérant combattre son agitation intérieure par l’agitation de sa marche, s’enfonça dans les allées boueuses de son jardin, marchant à pas rapides, saccadés, et de temps à autre portant à son front ses deux poings crispés…
 
Allant ainsi au hasard, il arriva au bout d’une allée, près d’une serre en ruine.
 
Tout à coup il trébucha violemment contre un amas de terre fraîchement remuée.
 
Il se baissa, regarda machinalement et vit quelques linges ensanglantés.
 
Il se trouvait près de la fosse que Louise Morel avait creusée pour y cacher son enfant mort…
 
Son enfant… qui était aussi celui de Jacques Ferrand…
 
Malgré son endurcissement, malgré les effroyables craintes qui l’agitaient, Jacques Ferrand frissonna d’épouvante.
 
Il y avait quelque chose de fatal dans ce rapprochement.
 
Poursuivi par la punition vengeresse de sa luxure, le hasard le ramenait sur la fosse de son enfant… malheureux fruit de sa violence et de sa luxure !…
 
Dans toute autre circonstance, Jacques Ferrand eût foulé cette sépulture avec une indifférence atroce, mais, ayant épuisé son énergie sauvage dans la scène que nous avons racontée, il se sentit saisi d’une faiblesse et d’une terreur soudaines…
 
Son front s’inonda d’une sueur glacée, ses genoux tremblants se dérobèrent sous lui, et il tomba sans mouvement à côté de cette tombe ouverte.