Les Mystères de Paris

| 9.03 - Vengeance

 

 

 

III

Vengeance


Pendant que Rodolphe pleurait amèrement, les traits de Sarah se décomposaient d’une manière sensible.
 
Au moment de voir se réaliser enfin le rêve de son ambitieuse vie, la dernière espérance qui l’avait jusqu’alors soutenue lui échappait à jamais.
 
Cette affreuse déception devait avoir sur sa santé, momentanément améliorée, une réaction mortelle.
 
Renversée dans son fauteuil, agitée d’un tremblement fiévreux, ses deux mains croisées et crispées sur ses genoux, le regard fixe, la comtesse attendit avec effroi la première parole de Rodolphe.
 
Connaissant l’impétuosité du caractère du prince, elle pressentait qu’au brisement douloureux qui arrachait tant de pleurs à cet homme aussi résolu qu’inflexible, succéderait quelque emportement terrible.
 
Tout à coup Rodolphe redressa la tête, essuya ses larmes, se leva debout et s’approchant de Sarah, les bras croisés sur sa poitrine, l’air menaçant, impitoyable… il la contempla quelques moments en silence, puis il dit d’une voix sourde :
 
– Cela devait être… j’ai tiré l’épée contre mon père… je suis frappé dans mon enfant… Juste punition du parricide… Écoutez-moi, madame.
 
– Parricide !… vous ! mon Dieu ! Ô funeste jour ! qu’allez-vous donc encore m’apprendre ?
 
– Il faut que vous sachiez dans ce moment suprême, tous les maux causés par votre implacable ambition, par votre féroce égoïsme… Entendez-vous, femme sans cœur et sans foi ? Entendez-vous, mère dénaturée ?…
 
– Grâce !… Rodolphe…
 
– Pas de grâce pour vous… qui, autrefois, sans pitié pour un amour sincère, exploitiez froidement, dans l’intérêt de votre exécrable orgueil, une passion généreuse et dévouée que vous feigniez de partager… Pas de grâce pour vous qui avez armé le fils contre le père !… Pas de grâce pour vous qui, au lieu de veiller pieusement sur votre enfant, l’avez abandonnée à des mains mercenaires, afin de satisfaire votre cupidité par un riche mariage… comme vous aviez jadis assouvi votre ambition effrénée en m’amenant à vous épouser… Pas de grâce pour vous qui, après avoir refusé mon enfant à ma tendresse, venez de causer sa mort par vos fourberies sacrilèges !… Malédiction sur vous… vous… mon mauvais génie et celui de ma race !…
 
– Ô mon Dieu !… il est sans pitié ! Laissez-moi !… laissez-moi !
 
– Vous m’entendrez… vous dis-je !… Vous souvenez-vous du dernier jour… où je vous ai vue… il y a dix-sept ans de cela vous ne pouviez plus cacher les suites de notre secrète union, que, comme vous, je croyais indissoluble… Je connaissais le caractère inflexible de mon père… je savais quel mariage politique il projetait pour moi… Bravant son indignation, je lui déclarai que vous étiez ma femme devant Dieu et devant les hommes… que dans peu de temps vous mettriez au monde un enfant, fruit de notre amour… La colère de mon père fut terrible… il ne voulait pas croire à mon mariage… tant d’audace lui semblait impossible… il me menaça de son courroux si je me permettais de lui parler encore d’une semblable folie… Alors je vous aimais comme un insensé… dupe de vos séductions… je croyais que votre cœur d’airain avait battu pour moi… Je répondis à mon père que jamais je n’aurais d’autre femme que vous… À ces mots, son emportement n’eut plus de bornes ; il vous prodigua les noms les plus outrageants, s’écria que notre mariage était nul ; que, pour vous punir de votre audace, il vous ferait attacher au pilori de la ville… Cédant à une folle passion… à la violence de mon caractère… j’osai défendre à mon père, à mon souverain… de parler ainsi de ma femme… j’osai le menacer. Exaspéré par cette insulte, mon père leva la main sur moi ; la rage m’aveugla… je tirai mon épée… je me précipitai sur lui… Sans Murph qui survint et détourna le coup… j’étais parricide de fait… comme je l’ai été d’intention !… Entendez-vous… parricide ! Et pour vous défendre… vous !…
 
– Hélas ! j’ignorais ce malheur !
 
– En vain j’avais cru jusqu’ici expier mon crime… le coup qui me frappe aujourd’hui est ma punition.
 
– Mais moi, n’ai-je pas aussi bien souffert de la dureté de votre père, qui a rompu notre mariage ? Pourquoi m’accuser de ne pas vous avoir aimé… lorsque…
 
– Pourquoi ?… s’écria Rodolphe, en interrompant Sarah et jetant sur elle un regard de mépris écrasant. Sachez-le donc, et ne vous étonnez plus de l’horreur que vous m’inspirez. Après cette scène funeste dans laquelle j’avais menacé mon père, je rendis mon épée. Je fus mis au secret le plus absolu. Polidori, par les soins de qui notre mariage avait été conclu, fut arrêté ; il prouva que cette union était nulle, que le ministre qui l’avait bénie était un ministre supposé, et que vous, votre frère et moi, nous avions été trompés. Pour désarmer la colère de mon père à son égard, Polidori fit plus : il lui remit une de vos lettres à votre frère, interceptée lors d’un voyage que fit Seyton.
 
– Ciel !… il serait possible ?
 
– Vous expliquez-vous mes mépris maintenant ?
 
– Oh ! assez… assez.
 
– Dans cette lettre, vous dévoiliez vos projets ambitieux avec un cynisme révoltant. Vous me traitiez avec un dédain glacial ; vous me sacrifiiez à votre orgueil infernal ; je n’étais que l’instrument de la fortune souveraine qu’on vous avait prédite… vous trouviez enfin que mon père vivait bien longtemps.
 
– Malheureuse que je suis ! À cette heure je comprends tout.
 
– Et pour vous défendre j’avais menacé la vie de mon père. Lorsque le lendemain, sans m’adresser un seul reproche, il me montra cette lettre… cette lettre qui à chaque ligne révélait la noirceur de votre âme, je ne pus que tomber à genoux et demander grâce. Depuis ce jour j’ai été poursuivi par un remords inexorable. Bientôt, je quittai l’Allemagne pour de longs voyages ; alors commença l’expiation que je me suis imposée… Elle ne finira qu’avec ma vie… Récompenser le bien, poursuivre le mal, soulager ceux qui souffrent, sonder toutes les plaies de l’humanité pour tâcher d’arracher quelques âmes à la perdition, telle est la tâche que je me suis donnée.
 
– Elle est noble et sainte, elle est digne de vous.
 
– Si je vous parle de ce vœu, reprit Rodolphe avec autant de dédain que d’amertume, de ce vœu que j’ai accompli selon mon pouvoir partout où je me suis trouvé, ce n’est pas pour être loué par vous. Écoutez-moi donc. Dernièrement j’arrive en France ; mon séjour dans ce pays ne devait pas être perdu pour l’expiation. Tout en voulant secourir d’honnêtes infortunes, je voulus aussi connaître ces classes que la misère écrase, abrutit et déprave, sachant qu’un secours donné à propos, que quelques généreuses paroles, suffisent souvent à sauver un malheureux de l’abîme. Afin de juger par moi-même, je pris l’extérieur et le langage des gens que je désirais observer. Ce fut lors d’une de ces explorations… que… pour la première fois… je… je… rencontrai… Puis, comme s’il eût reculé devant cette révélation terrible, Rodolphe ajouta après un moment d’hésitation : – Non… non ; je n’en ai pas le courage.
 
– Qu’avez-vous donc à m’apprendre encore, mon Dieu ?
 
– Vous ne le saurez que trop tôt… mais, reprit-il avec une sanglante ironie, vous portez au passé un si vif intérêt que je dois vous parler des événements qui ont précédé mon retour en France. Après de longs voyages je revins en Allemagne ; je m’empressai d’obéir aux volontés de mon père ; j’épousai une princesse de Prusse. Pendant mon absence vous aviez été chassée du grand-duché. Apprenant plus tard que vous étiez mariée au comte Mac-Gregor, je vous redemandai ma fille avec instance : vous ne me répondîtes pas ; malgré toutes mes informations je ne pus jamais savoir où vous aviez envoyé cette malheureuse enfant, au sort de laquelle mon père avait libéralement pourvu. Il y a dix ans seulement, une lettre de vous m’apprit que notre fille était morte. Hélas ! plût à Dieu qu’elle fût morte, alors… j’aurais ignoré l’incurable douleur qui va désormais désespérer ma vie.
 
– Maintenant, dit Sarah d’une voix faible, je ne m’étonne plus de l’aversion que je vous ai inspirée depuis que vous avez lu cette lettre… Je le sens, je ne survivrai pas à ce dernier coup. Eh bien ! oui… l’orgueil et l’ambition m’ont perdue ! Sous une apparence passionnée je cachais un cœur glacé, j’affectais le dévouement, la franchise ; je n’étais que dissimulation et égoïsme. Ne sachant pas combien vous avez le droit de me mépriser, de me haïr, mes folles espérances étaient revenues plus ardentes que jamais. Depuis qu’un double veuvage nous rendait libres tous deux, j’avais repris une nouvelle créance à cette prédiction qui me promettait une couronne, et lorsque le hasard m’a fait retrouver ma fille, il m’a semblé voir dans cette fortune inespérée une volonté providentielle !… Oui, j’allai jusqu’à croire que votre aversion pour moi céderait à votre amour pour votre enfant… et que vous me donneriez votre main afin de lui rendre le rang qui lui était dû…
 
– Eh bien ! que votre exécrable ambition soit donc satisfaite et punie ! Oui, malgré l’horreur que vous m’inspirez ; oui, par attachement, que dis-je ? par respect pour les affreux malheurs de mon enfant, j’aurais… quoique décidé à vivre ensuite séparé de vous… j’aurais, par un mariage qui eût légitimé la naissance de notre fille, rendu sa position aussi éclatante, aussi haute qu’elle avait été misérable !
 
– Je ne m’étais donc pas trompée !… Malheur !… Malheur !… il est trop tard !…
 
– Oh ! je le sais ! ce n’est pas la mort de votre fille que vous pleurez, c’est la perte de ce rang que vous avez poursuivi avec une inflexible opiniâtreté !… Eh bien ! que ces regrets infâmes soient votre dernier châtiment !…
 
– Le dernier… car je n’y survivrai pas…
 
– Mais avant de mourir vous saurez… quelle a été l’existence de votre fille depuis que vous l’avez abandonnée.
 
– Pauvre enfant ! bien misérable, peut-être…
 
– Vous souvenez-vous, reprit Rodolphe avec un calme effrayant, vous souvenez-vous de cette nuit où vous et votre frère vous m’avez suivi dans un repaire de la Cité ?
 
– Je m’en souviens ; mais pourquoi cette question ?… votre regard me glace.
 
– En venant dans ce repaire, vous avez vu, n’est-ce pas, au coin de ces rues ignobles, de… malheureuses créatures… qui… mais non… non… Je n’ose pas, dit Rodolphe en cachant son visage dans ses mains, je n’ose pas… mes paroles m’épouvantent.
 
– Moi aussi, elles m’épouvantent… qu’est-ce donc encore, mon Dieu ?
 
– Vous les avez vues, n’est-ce pas ? reprit Rodolphe en faisant sur lui-même un effort terrible. Vous les avez vues, ces femmes, la honte de leur sexe ?… Eh bien !… parmi elles… avez-vous remarqué une jeune fille de seize ans, belle… Oh ! belle… comme on peint les anges ?… une pauvre enfant qui, au milieu de la dégradation où on l’avait plongée depuis quelques semaines, conservait une physionomie si candide, si virginale et si pure, que les voleurs et les assassins qui la tutoyaient… madame… l’avaient surnommée Fleur-de-Marie… L’avez-vous remarquée, cette jeune fille… dites ? dites, tendre mère ?
 
– Non… je ne l’ai pas remarquée, dit Sarah presque machinalement, se sentant oppressée par une vague terreur.
 
– Vraiment ? s’écria Rodolphe avec un éclat sardonique. C’est étrange… je l’ai remarquée, moi… Voici à quelle occasion… écoutez bien. Lors d’une de ces explorations dont je vous ai parlé tout à l’heure et qui avait alors un double but[1], je me trouvais dans la Cité : non loin du repaire où vous m’avez suivi, un homme voulait battre une de ces malheureuses créatures ; je la défendis contre la brutalité de cet homme… Vous ne devinez pas qui était cette créature… Dites, mère sainte et prévoyante, dites… vous ne devinez pas ?
 
– Non… je ne… devine pas… Oh ! laissez-moi… laissez-moi.
 
– Cette malheureuse était Fleur-de-Marie…
 
– Ô mon Dieu !…
 
– Et vous ne devinez pas… qui était Fleur-de-Marie… mère irréprochable ?
 
– Tuez-moi… oh ! tuez-moi…
 
– C’était la Goualeuse… c’était votre fille…, s’écria Rodolphe avec une explosion déchirante… Oui, cette infortunée que j’ai arrachée des mains d’un ancien forçat, c’était mon enfant, à moi… à moi… Rodolphe de Gerolstein ! oh ! il y avait dans cette rencontre avec mon enfant, que je sauvais sans la connaître, quelque chose de fatal… de providentiel… une récompense pour l’homme qui cherche à secourir ses frères… une punition pour le parricide…
 
– Je meurs maudite et damnée…, murmura Sarah en se renversant dans son fauteuil et en cachant son visage dans ses mains.
 
– Alors, continua Rodolphe, dominant à peine ses ressentiments et voulant en vain comprimer les sanglots qui de temps en temps étouffèrent sa voix, quand je l’ai crue soustraite aux mauvais traitements dont on la menaçait, frappé de la douceur inexprimable de son accent… de l’angélique expression de ses traits… il m’a été impossible de ne pas m’intéresser à elle… Avec quelle émotion profonde j’ai écouté le naïf et poignant récit de cette vie d’abandon, de douleur et de misère ; car, voyez-vous, c’est quelque chose d’épouvantable que la vie de votre fille… madame…
 
« Oh ! il faut que vous sachiez les tortures de votre enfant ; oui, madame la comtesse… pendant qu’au milieu de votre opulence vous rêviez une couronne… votre fille, toute petite, couverte de haillons, allait le soir mendier dans les rues, souffrant du froid et de la faim… durant les nuits d’hiver elle grelottait sur un peu de paille dans le coin d’un grenier, et puis, quand l’horrible femme qui la torturait était lasse de battre la pauvre petite, ne sachant qu’imaginer pour la faire souffrir, savez-vous ce qu’elle lui faisait, madame ?… elle lui arrachait les dents !…
 
– Oh ! je voudrais mourir ! c’est une atroce agonie !…
 
– Écoutez encore… S’échappant enfin des mains de la Chouette, errant sans pain, sans asile, âgée de huit ans à peine, on l’arrête comme vagabonde, on la met en prison… Ah ! cela a été le meilleur temps de la vie de votre fille… madame… Oui, dans sa geôle, chaque soir, elle remerciait Dieu de ne plus souffrir du froid, de la faim, et de ne plus être battue. Et c’est dans une prison qu’elle a passé les années les plus précieuses de la vie d’une jeune fille, ces années qu’une tendre mère entoure toujours d’une sollicitude si pieuse et si jalouse ; oui, au lieu d’atteindre ses seize ans environnée de soins tutélaires, de nobles enseignements, votre fille n’a connu que la brutale indifférence des geôliers, et puis, un jour, dans sa féroce insouciance, la société l’a jetée, innocente et pure, belle et candide, au milieu de la fange de la grande ville… Malheureuse enfant… abandonnée… sans soutien, sans conseil, livrée à tous les hasards de la misère et du vice !… Oh ! s’écria Rodolphe, en donnant un libre cours aux sanglots qui l’étouffaient, votre cœur est endurci, votre égoïsme impitoyable, mais vous auriez pleuré… oui… vous auriez pleuré en entendant le récit déchirant de votre fille !… Pauvre enfant ! souillée, mais non corrompue, chaste encore au milieu de cette horrible dégradation qui était pour elle un songe affreux, car chaque mot disait son horreur pour cette vie où elle était fatalement enchaînée ; oh ! si vous saviez comme à chaque instant il se révélait en elle d’adorables instincts ! Que de bonté… que de charité touchante ! oui… car c’était pour soulager une infortune plus grande encore que la sienne que la pauvre petite avait dépensé le peu d’argent qui lui restait, et qui la séparait de l’abîme d’infamie où on l’a plongée… Oui ! car il est venu un jour… un jour affreux… où, sans travail, sans pain, sans asile… d’horribles femmes l’ont rencontrée exténuée de faiblesse… de besoin… l’ont enivrée… et…
 
Rodolphe ne put achever ; il poussa un cri déchirant en s’écriant :
 
– Et c’était ma fille ! ma fille !…
 
– Malédiction sur moi ! murmura Sarah en cachant sa figure dans ses mains comme si elle eût redouté de voir le jour.
 
– Oui, s’écria Rodolphe, malédiction sur vous ! car c’est votre abandon qui a causé toutes ces horreurs… Malédiction sur vous ! car, lorsque la retirant de cette fange je l’avais placée dans une paisible retraite, vous l’en avez fait arracher par vos misérables complices. Malédiction sur vous ! car cet enlèvement l’a mise au pouvoir de Jacques Ferrand…
 
À ce nom Rodolphe se tut brusquement…
 
Il tressaillit comme s’il l’eût prononcé pour la première fois.
 
C’est que pour la première fois aussi il prononçait ce nom depuis qu’il savait que sa fille était la victime de ce monstre… Les traits du prince prirent alors une effrayante expression de rage et de haine.
 
Muet, immobile, il restait comme écrasé par cette pensée : que le meurtrier de sa fille vivait encore… Sarah, malgré sa faiblesse croissante et le bouleversement que venait de lui causer l’entretien de Rodolphe, fut frappée de son air sinistre ; elle eut peur pour elle…
 
– Hélas ! qu’avez-vous ? murmura-t-elle d’une voix tremblante. N’est-ce pas assez de souffrances, mon Dieu ?…
 
– Non… ce n’est pas assez ! ce n’est pas assez…, dit Rodolphe en se parlant à lui-même et répondant à sa propre pensée, je n’avais jamais éprouvé cela… jamais ! Quelle ardeur de vengeance… quelle soif de sang… quelle rage calme et réfléchie !… Quand je ne savais pas qu’une des victimes du monstre était mon enfant… je me disais : « La mort de cet homme serait stérile… tandis que sa vie serait féconde, si, pour la racheter, il acceptait les conditions que je lui impose… » Le condamner à la charité, pour expier ses crimes, me paraissait juste… Et puis la vie sans or, la vie sans l’assouvissement de sa sensualité frénétique, devait être une longue et double torture… Mais c’est ma fille qu’il a livrée, enfant, à toutes les horreurs de la misère… jeune fille, à toutes les horreurs de l’infamie !… s’écria Rodolphe en s’animant peu à peu ; mais c’est ma fille qu’il a fait assassiner !… Je tuerai cet homme !…
 
Et le prince s’élança vers la porte.
 
– Où allez-vous ? Ne m’abandonnez pas… s’écria Sarah, se levant à demi et étendant vers Rodolphe ses mains suppliantes. Ne me laissez pas seule !… je vais mourir…
 
– Seule !… non !… non !… Je vous laisse avec le spectre de votre fille, dont vous avez causé la mort !…
 
Sarah, éperdue, se jeta à genoux en poussant un cri d’effroi, comme si un fantôme effrayant lui eût apparu.
 
– Pitié ! je meurs !
 
– Mourez donc, maudite !… reprit Rodolphe effrayant de fureur. Maintenant il me faut la vie de votre complice… car c’est vous qui avez livré votre fille à son bourreau !
 
 
Et Rodolphe se fit rapidement conduire chez Jacques Ferrand.
 


[1] Celle de retrouver les traces de Germain, fils de Mme Georges.