Les Mystères de Paris

| 1.14 - Les adieux

 

 

 

XIV

Les adieux


Marie (désormais nous donnerons ce nom à la Goualeuse), grâce aux soins de Mme Georges, n’était plus reconnaissable.
 
Un joli bonnet rond à la paysanne et deux épais bandeaux de cheveux blonds encadraient la figure virginale de la jeune fille. Un ample fichu de mousseline blanche se croisait sur son sein et disparaissait à demi sous la haute bavette carrée d’un petit tablier de taffetas changeant, dont les reflets bleus et roses miroitaient sur le fond sombre d’une robe carmélite qui semblait avoir été faite pour Marie.
 
Sa physionomie était profondément recueillie ; certaines félicités jettent l’âme dans une ineffable tristesse, dans une sainte mélancolie.
 
Rodolphe ne fut pas surpris de la gravité de Marie, il s’y attendait. Joyeuse et babillarde, il aurait eu d’elle une idée moins élevée.
 
Avec un tact parfait, il ne lui fit pas le moindre compliment sur sa beauté, qui brillait pourtant ainsi du plus pur éclat.
 
Rodolphe sentait qu’il y avait quelque chose de solennel, d’auguste, dans cette espèce de rédemption d’une âme arrachée au vice.
 
On voyait sur les traits sérieux et résignés de Mme Georges la trace de longues souffrances, de profonds chagrins ; elle regardait Marie avec une mansuétude, une compassion presque maternelle, tant la grâce et la douceur de cette jeune fille étaient sympathiques.
 
– Voilà mon enfant… qui vient vous remercier de vos bontés, monsieur Rodolphe, dit Mme Georges en présentant Marie à Rodolphe.
 
À ces mots de « mon enfant », la Goualeuse tourna lentement ses grands yeux vers sa protectrice et la contempla pendant quelques moments avec une expression de reconnaissance inexprimable.
 
– Merci pour Marie, ma chère madame Georges ; elle est digne de ce tendre intérêt… et elle le méritera toujours.
 
– Monsieur Rodolphe, dit Marie d’une voix tremblante, vous comprenez… n’est-ce pas, que je ne trouve rien à vous dire ?
 
– Votre émotion me dit tout, Marie…
 
– Oh ! elle sent combien le bonheur qui lui arrive est providentiel, dit Mme Georges attendrie. Son premier mouvement, en entrant dans ma chambre, a été de se jeter à genoux devant mon crucifix.
 
– C’est que maintenant grâce à vous, monsieur Rodolphe… j’ose prier…, dit Marie en regardant son ami.
 
Murph se retourna brusquement : son flegme d’Anglais, sa dignité de squire, ne lui permettaient pas de laisser voir à quel point le touchaient les simples paroles de Marie.
 
Rodolphe dit à la jeune fille :
 
– Mon enfant, j’aurais à causer avec Mme Georges… Mon ami Murph vous conduira dans la ferme… et vous fera faire connaissance avec vos futurs protégés… Nous vous rejoindrons tout à l’heure… Eh bien ! Murph… Murph, tu ne m’entends pas ?…
 
Le bon gentilhomme tournait alors le dos et feignait de se moucher avec un bruit, un retentissement formidables ; il remit son mouchoir dans sa poche, enfonça son chapeau sur ses yeux et, se retournant à demi, il offrit son bras à Marie.
 
Murph avait si habilement manœuvré que ni Rodolphe ni Mme Georges ne purent apercevoir son visage. Prenant le bras de la jeune fille, il se dirigea rapidement vers les bâtiments de la ferme, en marchant si vite que, pour le suivre, la Goualeuse fut obligée de courir, comme elle courait dans son enfance après la Chouette.
 
– Eh bien ! madame Georges, que pensez-vous de Marie ? dit Rodolphe.
 
– Monsieur Rodolphe, je vous l’ai dit : à peine entrée dans ma chambre… voyant mon christ, elle a couru s’agenouiller… Il m’est impossible de vous exprimer tout ce qu’il y a de spontané, de naturellement religieux dans ce mouvement. J’ai compris à l’instant que son âme n’était pas dégradée. Et puis, monsieur Rodolphe, l’expression de sa reconnaissance pour vous n’a rien d’exagéré, d’emphatique ; elle n’en est que plus sincère. Encore un mot qui vous prouvera combien l’instinct religieux est puissant en elle ; je lui ai dit : « Vous avez dû être bien étonnée, bien heureuse, lorsque M. Rodolphe vous a annoncé que vous resteriez ici désormais ?… Quelle profonde impression cela a dû vous causer !… « – Oh ! oui, m’a-t-elle répondu ; quand M. Rodolphe m’a dit cela, alors je ne sais ce qui s’est passé en moi tout à coup ; mais j’ai éprouvé l’espèce de bonheur pieux, de saint respect que j’éprouvais lorsque j’entrais dans une église… quand je pouvais y entrer, a-t-elle ajouté, car vous savez, madame… » Je ne l’ai pas laissée achever en voyant sa figure se couvrir de honte. – Je sais, mon enfant… et je vous appellerai toujours mon enfant… si vous le voulez bien… je sais que vous avez beaucoup souffert : mais Dieu bénit ceux qui l’aiment et ceux qui le craignent… ceux qui ont été malheureux et ceux qui se repentent…
 
– Allons, ma bonne madame Georges, je suis doublement content de ce que j’ai fait. Cette pauvre fille vous intéressera… Vous n’aurez qu’à semer pour recueillir ; vous avez deviné juste, ses instincts sont excellents.
 
– Ce qui m’a encore touchée, monsieur Rodolphe, c’est qu’elle ne s’est pas permis la moindre question sur vous, quoique sa curiosité dût être bien excitée. Frappée de cette réserve pleine de délicatesse, je voulus savoir si elle en avait la conscience. Je lui dis : – Vous devez être bien curieuse de savoir quel est votre mystérieux bienfaiteur ? « – Je le sais… me répondit-elle avec une naïveté charmante, il s’appelle mon bienfaiteur. »
 
– Ainsi donc vous l’aimerez ? Excellente femme, sa compagnie vous sera douce… Elle occupera du moins votre cœur…
 
– Oui, je m’occuperai d’elle comme je me serais occupée de lui, dit Mme Georges d’une voix déchirante.
 
Rodolphe lui prit la main.
 
– Allons, allons, ne vous découragez pas encore… Si nos recherches ont été vaines jusqu’ici, peut-être un jour…
 
Mme Georges secoua tristement la tête et dit amèrement :
 
– Mon pauvre fils aurait vingt ans maintenant…
 
– Dites donc qu’il a cet âge.
 
– Dieu vous entende et vous exauce, monsieur Rodolphe !
 
– Il m’exaucera… je l’espère bien… Hier j’étais allé (mais en vain) chercher un certain drôle surnommé Bras-Rouge, qui pouvait peut-être, m’avait-on dit, me renseigner sur votre fils. En descendant de chez Bras-Rouge, à la suite d’une rixe, j’ai rencontré cette malheureuse enfant…
 
– Hélas ! tant mieux !… au moins votre bonne résolution pour moi vous a mis sur la voie d’une nouvelle infortune, monsieur Rodolphe.
 
– Depuis longtemps d’ailleurs je voulais explorer ces classes misérables… presque certain qu’il y avait là aussi quelques âmes à enlever au vieux Satan, que je m’amuse à contrecarrer souvent, ajouta Rodolphe en souriant, et à qui je dérobe quelquefois ses meilleurs morceaux. Puis il reprit d’un ton plus sérieux : Vous n’avez aucune nouvelle de Rochefort ?
 
– Aucune, dit Mme Georges à voix basse en tressaillant.
 
– Tant mieux ! ce monstre aura trouvé la mort dans les bancs de vase en cherchant à s’évader. Son signalement est assez répandu ; c’est un scélérat assez redoutable pour qu’on ait mis toute l’activité possible à le découvrir ; et, depuis six mois environ qu’il est sorti du ba…
 
Rodolphe s’arrêta au moment de prononcer ce terrible mot.
 
– Du bagne ! oh ! dites-le… du bagne ! s’écria la malheureuse femme avec horreur et d’une voix presque égarée. Le père de mon fils !… Ah ! si ce malheureux enfant vit encore… si, comme moi, il n’a pas changé de nom, quelle honte ! Et cela n’est rien encore… Son père a peut-être tenu son horrible promesse. Ah ! monsieur Rodolphe, pardonnez-moi ; mais, malgré vos bienfaits, je suis encore bien malheureuse !
 
– Pauvre femme, calmez-vous.
 
– Quelquefois il me prend d’horribles frayeurs. Je me figure que mon mari s’est échappé sain et sauf de Rochefort ; qu’il me cherche pour me tuer comme il a peut-être tué notre enfant. Car enfin, qu’en a-t-il fait ? qu’en a-t-il fait ?
 
– Ce mystère est le tombeau de mon esprit, dit Rodolphe d’un air pensif. Dans quel intérêt ce misérable a-t-il emporté votre fils, lorsqu’il y a quinze ans, m’avez-vous dit, il a tenté de passer en pays étranger ? Un enfant de cet âge ne pouvait qu’embarrasser sa fuite.
 
– Hélas ! monsieur Rodolphe, lorsque mon mari (la malheureuse frissonna en prononçant ce mot), arrêté sur la frontière, a été ramené à Paris et jeté dans la prison où l’on m’a permis de pénétrer, ne m’a-t-il pas dit ces horribles paroles : « J’ai emporté ton enfant parce que tu l’aimes, et que c’est un moyen de te forcer de m’envoyer de l’argent, dont il profitera ou ne profitera pas… ça me regarde. Qu’il vive ou qu’il meure, peu t’importe ; mais s’il vit, il sera entre bonnes mains ; tu boiras la honte du fils comme tu as bu la honte du père. » Hélas ! un mois après, mon mari était condamné pour la vie. Depuis, les instances, les prières dont mes lettres étaient remplies, tout a été vain ; je n’ai rien pu savoir sur le sort de cet enfant… Ah ! monsieur Rodolphe, mon fils, où est-il à présent ? Ces épouvantables paroles me reviennent toujours à la pensée : « Tu boiras la honte du fils comme tu as bu celle du père ! »
 
– Mais ce serait une atrocité inexplicable ; pourquoi vicier, corrompre ce malheureux enfant ? pourquoi surtout vous l’enlever ?
 
– Je vous l’ai dit, monsieur Rodolphe, pour me forcer à lui envoyer de l’argent ; quoiqu’il m’ait ruinée, il me restait quelques dernières ressources qui s’épuisèrent ainsi. Malgré sa scélératesse, je ne pouvais croire qu’il n’employât au moins une partie de cette somme à faire élever ce malheureux enfant.
 
– Et votre fils n’avait aucun signe, aucun indice qui pût servir à le faire reconnaître ?
 
– Aucun autre que celui dont je vous ai parlé, monsieur Rodolphe : un petit saint-esprit sculpté en lapis-lazuli, attaché à son cou par une petite chaînette d’argent. Cette relique, bénie par le saint-père, venait de ma mère ; elle l’avait portée étant petite, et y attachait une grande vénération. Je l’avais aussi portée : je l’avais mise au cou de mon fils ! Hélas ! ce talisman a perdu sa vertu.
 
– Qui sait, bonne mère ? Dieu est tout-puissant.
 
– La Providence ne m’a-t-elle pas placée sur votre chemin, monsieur Rodolphe ?
 
– Trop tard, ma bonne madame Georges, trop tard. Je vous aurais épargné peut-être bien des années de chagrin.
 
– Ah ! monsieur Rodolphe, ne m’avez-vous pas comblée ?
 
– En quoi ? J’ai acheté cette ferme. Au temps de votre prospérité, vous faisiez, par goût, valoir vos biens ; vous avez consenti à me servir de régisseur ; grâce à vos soins excellents, à votre intelligente activité, cette métairie me rapporte…
 
– Vous rapporte, monsieur ? dit Mme Georges interrompant Rodolphe ; n’est-ce pas moi qui paye le fermage à notre bon abbé Laporte ? et cette somme n’est-elle pas, selon vos ordres, distribuée par lui en aumônes ?
 
– Eh bien ! n’est-ce pas un excellent rapport ? Mais vous avez fait prévenir ce cher abbé de mon arrivée, n’est-ce pas ? Je tiens à lui recommander ma protégée. Il a reçu ma lettre ?
 
– M. Murph la lui a portée ce matin en arrivant.
 
– Dans cette lettre, je racontais, en peu de mots, à notre bon curé, l’histoire de cette pauvre enfant. Je n’étais pas certain de pouvoir venir aujourd’hui ; dans ce cas, Murph vous aurait amené Marie.
 
Un valet de ferme interrompit cet entretien, qui avait eu lieu dans le jardin.
 
– Madame, M. le curé vous attend.
 
– Les chevaux de poste sont-ils arrivés, mon garçon ? dit Rodolphe.
 
– Oui, monsieur Rodolphe ; on attelle.
 
Et le valet quitta le jardin.
 
Mme Georges, le curé et les habitants de la ferme ne connaissaient le protecteur de Fleur-de-Marie que sous le nom de M. Rodolphe.
 
La discrétion de Murph était impénétrable ; autant il mettait de ponctualité à monseigneuriser Rodolphe dans le tête-à-tête, autant devant les étrangers il avait soin de ne jamais l’appeler autrement que M. Rodolphe.
 
– J’oubliais de vous prévenir, ma chère madame Georges, dit Rodolphe en regagnant la maison, que Marie a, je crois, la poitrine faible ; les privations, la misère, ont altéré sa santé. Ce matin, au grand jour, j’ai été frappé de sa pâleur, quoique ses joues fussent colorées d’un rose vif ; ses yeux aussi m’ont paru briller d’un éclat un peu fébrile. Il lui faudra de grands soins.
 
– Comptez sur moi, monsieur Rodolphe. Mais, Dieu merci ! il n’y a rien de grave. À cet âge, à la campagne… au bon air, avec du repos, du bonheur, elle se remettra vite.
 
– Je le crois ; mais il n’importe : je ne me fie pas à vos médecins de campagne… Je dirai à Murph d’amener ici un docteur habile, et il indiquera le meilleur régime à suivre. Vous me donnerez souvent des nouvelles de Marie. Dans quelque temps, lorsqu’elle sera bien reposée, bien calmée, nous songerons à son avenir. Peut-être vaudrait-il mieux pour elle de rester toujours auprès de vous… si son caractère et sa conduite vous conviennent.
 
– Ce serait mon désir, monsieur Rodolphe ; elle me tiendrait lieu de l’enfant que je regrette tous les jours.
 
– Enfin, espérons pour vous, espérons pour elle.
 
Au moment où Rodolphe et Mme Georges approchaient de la ferme, Murph et Marie arrivaient de leur côté.
 
Marie était animée par la promenade. Rodolphe fit remarquer à Mme Georges la coloration des pommettes de la jeune fille, couleurs vives, circonscrites, qui contrastaient beaucoup avec la blancheur délicate de son teint.
 
Le digne gentilhomme abandonna le bras de la Goualeuse, et vint dire à l’oreille de Rodolphe, d’un air presque confus :
 
– Cette petite fille m’a ensorcelé ; je ne sais pas maintenant qui m’intéresse le plus, d’elle ou de Mme Georges. J’étais une bête sauvage et féroce.
 
– Ne t’arrache pas les cheveux pour cela, vieux Murph, dit Rodolphe en souriant et en serrant la main du squire.
 
Mme Georges, s’appuyant sur le bras de Marie, entra avec elle dans le petit salon du rez-de-chaussée, où attendait l’abbé Laporte.
 
Murph alla veiller aux préparatifs du départ.
 
Mme Georges, Marie, Rodolphe et le curé restèrent seuls.
 
Simple, mais très-confortable, ce petit salon était tendu et meublé de toile de perse, comme le reste de la maison, d’ailleurs exactement dépeinte à la Goualeuse par Rodolphe.
 
Un épais tapis couvrait le plancher, un bon feu flambait dans l’âtre, et deux énormes bouquets de reines-marguerites de toutes couleurs, placés dans deux vases de cristal, répandaient dans cette pièce leur légère odeur balsamique.
 
À travers les persiennes vertes à demi fermées, on voyait la prairie, la petite rivière, et au delà le coteau planté de châtaigniers.
 
L’abbé Laporte, assis auprès de la cheminée, avait quatre-vingts ans passés ; depuis les derniers jours de la Révolution il desservait cette pauvre paroisse.
 
On ne pouvait rien voir de plus vénérable, de plus doucement imposant que sa physionomie sénile, amaigrie et un peu souffrante, encadrée de longs cheveux blancs qui tombaient sur le collet de sa soutane noire, rapiécée en plus d’un endroit ; l’abbé aimant mieux, disait-il, habiller deux ou trois pauvres enfants d’un bon drap bien chaud, que de faire le muguet, c’est-à-dire garder ses soutanes moins de deux ou trois ans.
 
Le bon abbé était si vieux, si vieux, que ses mains tremblaient toujours ; il y avait quelque chose de touchant dans ce mouvement : aussi, lorsque quelquefois il les élevait en parlant, on eût dit qu’il bénissait.
 
Rodolphe observait Marie avec intérêt.
 
S’il l’eût moins connue, ou plutôt moins devinée, il se fût peut-être étonné de la voir approcher de l’abbé avec une sorte de pieuse sérénité.
 
L’admirable instinct de Marie lui disait que la honte finit où le repentir et l’expiation commencent.
 
– Monsieur l’abbé, dit respectueusement Rodolphe, Mme Georges veut bien se charger de cette jeune fille, pour laquelle je vous demande vos bontés.
 
– Elle y a droit, monsieur, comme tous ceux qui viennent à nous. La clémence de Dieu est inépuisable, ma chère enfant… il vous l’a prouvé en ne vous abandonnant pas… dans de bien douloureuses épreuves… Je sais tout. (Et il prit la main de Marie dans ses mains tremblantes et vénérables.) L’homme généreux qui vous a sauvée a réalisé cette parole de l’Écriture : « Le Seigneur est près de ceux qui l’invoquent ; il accomplira les désirs de ceux qui le redoutent ; il écoutera leurs cris et les sauvera. » Maintenant, méritez ses bontés par votre conduite ; vous me trouverez toujours pour vous encourager, pour vous soutenir… dans la bonne voie où vous entrez. Vous aurez dans Mme Georges un exemple de tous les jours, en moi un conseil vigilant. Le Seigneur terminera son œuvre.
 
– Et je le prierai pour ceux qui ont eu pitié de moi, et qui m’ont ramenée à lui, mon père, dit la Goualeuse.
 
Par un mouvement presque involontaire, elle se jeta à genoux devant le prêtre. L’émotion était trop forte, les sanglots l’étouffaient. Mme Georges, Rodolphe, l’abbé… étaient profondément touchés.
 
– Relevez-vous, ma chère enfant, dit le curé, vous mériterez bientôt… l’absolution de grandes fautes dont vous avez été plutôt victime que coupable ; car, pour parler encore avec le prophète : « Le Seigneur soutient tous ceux qui sont près de tomber, et il relève tous ceux qu’on accable. »
 
– Adieu, Marie, lui dit Rodolphe en lui donnant une petite croix d’or, dite à la Jeannette, attachée à un ruban de velours noir. Il ajouta : – Gardez cette petite croix en souvenir de moi ; j’y ai fait graver ce matin la date du jour de votre délivrance… de votre rédemption. Bientôt je reviendrai vous voir.
 
Marie porta la croix à ses lèvres.
 
Murph, à ce moment, ouvrit la porte du salon.
 
– Monsieur Rodolphe, les chevaux sont prêts.
 
– Adieu, mon père ; adieu, ma bonne madame Georges… Je vous recommande votre enfant. Encore adieu, Marie.
 
Le vénérable prêtre, appuyé sur le bras de Mme Georges et de la Goualeuse, qui soutenaient ses pas chancelants, sortit du salon pour voir partir Rodolphe.
 
Les derniers rayons du soleil coloraient vivement ce groupe intéressant et triste :
 
Un vieux prêtre, symbole de charité, de pardon et d’espérance éternelle ;
 
Une femme éprouvée par toutes les douleurs qui peuvent accabler une épouse, une mère ;
 
Une jeune fille sortant à peine de l’enfance, naguère jetée dans l’abîme du vice par la misère et par l’infâme obsession du crime.
 
Rodolphe monta en voiture ; Murph prit place à ses côtés.
 
Les chevaux partirent au galop.