Les Mystères de Paris

| 1.13 - Murph et Rodolphe

 

 

 

XIII

Murph et Rodolphe


Rodolphe se dirigea vers la cour de la ferme et y trouva l’homme de grande taille qui, la veille, déguisé en charbonnier, était venu l’avertir de l’arrivée de Tom et de Sarah.
 
Murph, tel est le nom de ce personnage, avait cinquante ans environ ; quelques mèches blanches argentaient deux petites touffes de cheveux d’un blond vif qui frisaient de chaque côté de son crâne presque entièrement chauve : son visage large, coloré, était complètement rasé, sauf des favoris très-courts, d’un blond ardent, qui ne dépassaient pas le niveau de l’oreille, et s’arrondissaient en croissant sur ses joues rebondies. Malgré son âge et son embonpoint, Murph était alerte et robuste. Sa physionomie, quoique flegmatique, était à la fois bienveillante et résolue ; il portait une cravate blanche, un grand gilet et un long habit noir à larges basques sa culotte, d’un gris verdâtre, était de même étoffe que ses guêtres à boutons de nacre, ne rejoignant pas tout à fait ses jarretières. Elles laissaient apercevoir ses bas de voyage, en laine écrue.
 
L’habillement et la mâle tournure de Murph rappelaient le type parfait de ce que les Anglais appellent le gentilhomme fermier. Hâtons-nous d’ajouter que Murph était Anglais gentilhomme (squire), mais non fermier.
 
Au moment où Rodolphe entra dans la cour, Murph remettait dans la poche d’une petite calèche de voyage une paire de pistolets qu’il venait de soigneusement essuyer.
 
– À qui diable en as-tu avec tes pistolets ? lui dit Rodolphe.
 
– Cela me regarde, monseigneur, dit Murph en descendant du marchepied. Faites vos affaires, je fais les miennes.
 
– Pour quelle heure as-tu commandé les chevaux ?
 
– Selon vos ordres, à la nuit tombante.
 
– Tu es arrivé ce matin ?
 
– À huit heures. Mme Georges a eu le loisir de tout préparer.
 
– Tu as de l’humeur… Est-ce que tu n’es pas content de moi ?
 
– Je ne le suis que trop, monseigneur… que trop. Un jour ou l’autre… enfin, le danger… c’est votre vie.
 
– Il te sied bien de parler ! Si je te laissais faire, il n’y aurait de péril que pour toi et…
 
– Et quand vous feriez le bien sans risquer votre vie, où serait le grand mal, monseigneur ?
 
– Où serait le grand plaisir, maître Murph ?
 
– Vous, dit le squire en haussant les épaules, vous dans de pareilles tavernes !
 
– Oh ! que vous voilà bien, vous autres John Bull, avec vos scrupules aristocratiques ! croyant les grands seigneurs d’une essence supérieure à la vôtre, pauvres moutons, fiers de vos bouchers ! ! !
 
– Si vous étiez anglais, monseigneur, vous comprendriez cela… on honore qui honore. D’ailleurs, je serais Turc, Chinois ou Américain, que je trouverais encore que vous avez eu tort de vous exposer ainsi. Hier soir, dans cette abominable rue de la Cité, en allant pour déterrer avec vous ce Bras-Rouge, que l’enfer confonde ! il m’a fallu la crainte de vous irriter, de vous désobéir, pour m’empêcher d’aller vous secourir dans votre lutte contre le bandit que vous avez trouvé dans l’allée de ce bouge.
 
– C’est-à-dire, monsieur Murph, que vous doutez de ma force et de mon courage !
 
– Malheureusement vous m’avez cent fois mis à même de ne douter ni de l’un ni de l’autre. Grâce à Dieu, Crabb de Ramsgate vous a appris à boxer ; Lacour de Paris[1] vous a enseigné la canne, le chausson, et par curiosité l’argot ; le fameux Bertrand vous a appris l’escrime, et dans vos essais contre ces professeurs vous avez eu souvent l’avantage. Vous tuez les hirondelles au vol avec un pistolet de munition, vous avez des muscles d’acier ; quoique svelte et mince, vous me battriez aussi facilement qu’un cheval de course battrait un cheval de brasseur… Cela est vrai.
 
Rodolphe avait complaisamment écouté cette énumération de ses qualités de gladiateur ; il reprit en souriant :
 
– Eh bien ! alors que crains-tu ?
 
– Je maintiens, monseigneur, qu’il n’est pas convenable que vous prêtiez le collet au premier goujat venu. Je ne vous dis pas cela à cause de l’inconvénient qu’il y a pour un honorable gentilhomme de ma connaissance à se noircir la figure avec du charbon et à avoir l’air d’un diable : malgré mes cheveux gris, mon embonpoint et ma gravité, je me déguiserais en danseur de corde, si cela pouvait vous servir ; mais j’en suis pour ce que j’ai dit.
 
– Oh ! je le sais bien, vieux Murph, lorsqu’une idée est rivée sous ton crâne de fer, lorsque le dévouement est implanté dans ton ferme et vaillant cœur, le démon userait ses dents et ses ongles à les en retirer.
 
– Vous me flattez, monseigneur, vous méditez quelque…
 
– Ne te gêne pas.
 
– Quelque folie, monseigneur.
 
– Mon pauvre Murph, tu prends mal ton temps pour me sermonner.
 
– Pourquoi ?
 
– Je suis dans un de mes meilleurs moments d’orgueil et de bonheur… je suis ici…
 
– Dans un endroit où vous avez fait du bien ?
 
– C’est un lieu de refuge contre tes homélies, c’est mon Temple-Bar…
 
– S’il en est ainsi, où diable voulez-vous que je vous prenne, monseigneur ?
 
– Maître Murph, vous me flattez, vous voulez m’empêcher de faire quelque folie.
 
– Monseigneur, il y a des folies pour lesquelles je suis indulgent.
 
– Les folies d’argent ?
 
– Oui, car, après tout, avec près de deux millions de revenu…
 
– On est souvent bien gêné, mon pauvre Murph.
 
– À qui le dites-vous, monseigneur !
 
– Et pourtant il y a des plaisirs si vifs, si purs, si profonds, qui coûtent si peu ! Qu’y a-t-il de comparable à ce que j’ai éprouvé tout à l’heure, lorsque cette malheureuse créature s’est vue en sûreté ici, et que dans sa reconnaissance elle m’a baisé la main ? Ce n’est pas tout : mon bonheur a un long avenir : demain, après-demain, pendant bien des jours, enfin, je pourrai songer avec délices à ce qu’éprouvera cette pauvre enfant en se réveillant dans cette tranquille retraite, auprès de cette excellente Mme Georges, qui l’aimera tendrement ; car le malheur est sympathique au malheur.
 
– Oh ! pour Mme Georges, jamais bienfaits n’ont été mieux placés. Noble, courageuse femme !… un ange de vertu, un ange ! Je m’émeus rarement, et je me suis ému aux malheurs de Mme Georges… Mais votre nouvelle protégée !… Tenez, ne parlons pas de cela, monseigneur.
 
– Pourquoi, Murph ?
 
– Monseigneur, vous faites ce que bon vous semble.
 
– Je fais ce qui est juste, dit Rodolphe avec une nuance d’impatience.
 
– Ce qui est juste… selon vous.
 
– Ce qui est juste devant Dieu et devant ma conscience, reprit sévèrement Rodolphe.
 
– Tenez, monseigneur, nous ne nous entendrons pas. Je vous le répète, ne parlons plus de cela.
 
– Et moi, je vous ordonne de parler ! s’écria impérieusement Rodolphe.
 
– Je ne me suis jamais exposé à ce que monseigneur m’ordonnât de me taire : j’espère qu’il ne m’ordonnera pas de parler, répondit fièrement Murph.
 
– Monsieur Murph ! ! ! s’écria Rodolphe avec un accent d’irritation croissante.
 
– Monseigneur !…
 
– Vous le savez, monsieur, je n’aime pas les réticences.
 
– Il me convient d’avoir des réticences, dit brusquement Murph.
 
– Apprenez, monsieur, que si je descends avec vous jusqu’à la familiarité, c’est à condition que vous vous élèverez jusqu’à la franchise.
 
Il est impossible de peindre la hauteur souveraine de la physionomie de Rodolphe en prononçant ces dernières paroles.
 
– Monseigneur, j’ai cinquante ans, je suis gentilhomme ; vous ne devez pas me parler ainsi.
 
– Taisez-vous !
 
– Monseigneur !
 
– Taisez-vous !
 
– Monseigneur, il est indigne de forcer un homme de cœur à se souvenir des services qu’il a rendus.
 
– Tes services ? Est-ce que je ne les paye pas de toutes façons ?
 
Il faut le dire, Rodolphe n’avait pas attaché à ces mots cruels un sens humiliant qui plaçât Murph dans la position d’un mercenaire ; malheureusement celui-ci les interpréta de la sorte. Il devint pourpre de honte, porta ses deux poings crispés à son front chauve avec une expression de douloureuse indignation ; puis tout à coup, par un revirement subit, jetant les yeux sur Rodolphe, dont la noble figure était alors contractée, enlaidie par la violence d’un dédain farouche, Murph étouffa un soupir, regarda le jeune homme avec une sorte de tendre commisération, et lui dit d’une voix émue :
 
– Monseigneur, revenez à vous, vous n’êtes pas raisonnable.
 
Ces mots mirent le comble à l’irritation de Rodolphe ; son regard brilla d’un éclat sauvage ; ses lèvres blanchirent, et, s’avançant vers Murph avec un geste de menace, il s’écria :
 
– Oses-tu bien… !
 
Murph se recula, et dit vivement, comme malgré lui :
 
– Monseigneur, monseigneur, SOUVENEZ-VOUS DU 13 JANVIER !
 
Ces mots produisirent un effet magique sur Rodolphe. Son visage, crispé par la colère, se détendit.
 
Il regarda fixement Murph, baissa la tête ; puis, après un moment de silence, il murmura d’une voix altérée :
 
– Ah ! monsieur, vous êtes cruel… Je croyais pourtant !… Et vous encore !… Vous !…
 
Rodolphe ne put achever, sa voix s’éteignit ; il tomba sur un banc de pierre et cacha sa tête dans ses deux mains.
 
– Monseigneur, s’écria Murph désolé, mon bon seigneur, pardonnez-moi, pardonnez à votre vieux et fidèle Murph ! Ce n’est que poussé à bout, et craignant, hélas ! non pour moi, mais pour vous, les suites de votre emportement, que j’ai dit cela… Je l’ai dit sans colère, sans reproche, je l’ai dit malgré moi et avec compassion. Monseigneur, j’ai eu tort d’être susceptible… Mon Dieu ! qui doit connaître votre caractère, si ce n’est moi, moi qui ne vous ai pas quitté depuis votre enfance ! De grâce, dites que vous me pardonnez de vous avoir rappelé ce jour funeste… Hélas que d’expiations n’avez-vous pas…
 
Rodolphe releva la tête ; il était très-pâle. Il dit à son compagnon d’une voix douce et triste :
 
– Assez, assez, mon vieil ami, je te remercie d’avoir éteint d’un mot ce fatal emportement ; je ne te fais pas d’excuses, moi, des duretés que j’ai dites ; tu sais bien qu’il y a loin du cœur aux lèvres, comme disent les bonnes gens de chez nous. J’étais fou, ne parlons plus de cela.
 
– Hélas ! maintenant vous voilà triste pour longtemps… Suis-je assez malheureux !… Je ne désire rien tant que de vous voir sortir de votre humeur sombre et je vous y replonge par ma sotte susceptibilité. Mordieu ! à quoi sert d’être honnête homme et d’avoir des cheveux gris, si ce n’est à endurer patiemment mes reproches qu’on ne mérite pas !
 
– Mais non, reprit Murph avec une exaltation comique, car elle contrastait avec son flegme habituel, mais non, il faut sans doute qu’on me flatte à la journée, qu’on me dise : « Monsieur Murph, vous êtes le modèle des serviteurs ; Monsieur Murph, il n’y a pas de fidélité pareille à la vôtre ; monsieur Murph, vous êtes un homme admirable ; monsieur Murph ! diable, peste ! oh ! oh ! qu’il est beau, monsieur Murph ! brave Murph ! » Allons, vieux perroquet, fais donc gratter ta tête grise ! ! !
 
Puis, se ressouvenant des affectueuses paroles que Rodolphe lui avait dites au commencement de la conversation, il s’écria avec un redoublement de violence grotesque :
 
– Mais c’est qu’il m’avait appelé son bon, son vieux, son fidèle Murph !… Et moi qui vais comme un rustre, pour une boutade involontaire ! à mon âge… Mordieu !… c’est à s’arracher les cheveux.
 
Et le digne gentilhomme porta ses deux mains à ses tempes.
 
Ces mots et ce geste étaient chez lui le signe du désespoir arrivé à son paroxysme. Malheureusement ou heureusement pour Murph, il était presque complètement chauve, ce qui rendait cette manifestation capillaire très-inoffensive, et cela à son grand et sincère regret ; car lorsque l’action succédait à la parole, c’est-à-dire lorsque ses doigts crispés ne rencontraient que la surface de son crâne, luisante et polie comme du marbre, le digne squire était confus et honteux de sa présomption, il se regardait comme un hâbleur, comme un fanfaron. Hâtons-nous de dire, pour disculper Murph de tout soupçon de forfanterie, qu’il avait possédé la chevelure la plus épaisse, la plus dorée qui eût jamais orné le crâne d’un gentilhomme du Yorkshire.
 
Ordinairement le désappointement de Murph à l’endroit de sa chevelure amusait beaucoup Rodolphe ; mais ses pensées étaient alors graves, douloureuses. Pourtant, ne voulant pas augmenter les regrets de son compagnon, il lui dit en souriant avec douceur :
 
– Écoute-moi, bon Murph : tu paraissais louer sans réserve le bien que j’ai fait à Mme Georges…
 
– Monsieur…
 
– Et t’étonner de mon intérêt pour cette pauvre fille perdue ?
 
– Monseigneur, de grâce… j’ai eu tort… j’ai eu tort…
 
– Non… Je le conçois, les apparences ont pu te tromper… Seulement, comme tu connais ma vie… comme tu m’aides avec autant de fidélité que de courage dans la tâche que j’ai entreprise… il est de ton devoir ou, si tu l’aimes mieux, de ma reconnaissance, de te convaincre que je n’agis pas légèrement…
 
– Je le sais, monseigneur.
 
– Tu connais mes idées au sujet du bien que l’homme peut faire. Secourir d’honorables infortunes qui se plaignent, c’est bien. S’enquérir de ceux qui luttent avec honneur, avec énergie, et leur venir en aide, quelquefois à leur insu… prévenir à temps la misère ou la tentation, qui mènent au crime… c’est mieux. Réhabiliter à leurs propres yeux, rendre tout à fait honnêtes et bons ceux qui ont conservé purs quelques généreux sentiments au milieu du mépris qui les flétrit, de la misère qui les ronge, de la corruption qui les entoure, et pour cela braver, soi, le contact de cette misère, de cette corruption, de cette fange… c’est mieux encore. Poursuivre d’une haine vigoureuse, d’une vengeance implacable, le vice, l’infamie, le crime, qu’ils rampent dans la boue ou qu’ils trônent sur la soie, c’est justice… Mais secourir aveuglément une misère méritée, mais dégrader l’aumône et la pitié, mais prostituer ces chastes et pieuses consolatrices de mon âme blessée… les prostituer à des êtres indignes, infâmes, cela serait horrible, impie, sacrilège. Ce serait faire douter de Dieu. Et celui qui donne doit y faire croire.
 
– Monseigneur, je n’ai pas voulu dire que vous aviez indignement placé vos bienfaits.
 
– Encore un mot, mon vieil ami. Mme Georges et la pauvre fille que je lui ai confiée sont parties des deux points extrêmes pour tomber dans un abîme commun… le malheur. L’une, heureuse, riche, aimée, honorée, douée de toutes les vertus, a vu son existence flétrie, brisée, anéantie par le scélérat hypocrite auquel d’aveugles parents l’avaient mariée… Je le dis avec joie, sans moi la malheureuse femme expirait de misère et de besoin ; car la honte l’empêchait de s’adresser à personne.
 
– Ah ! monseigneur, lorsque nous sommes arrivés dans cette mansarde, quelle effroyable pauvreté ! C’était affreux… affreux !… Et lorsque après sa longue maladie elle s’est pour ainsi dire réveillée ici, dans cette maison si calme, quelle surprise ! quelle reconnaissance ! Vous avez raison, monseigneur, voir secourir de telles infortunes, cela fait croire à Dieu.
 
– Et c’est honorer Dieu que de les secourir ; je le reconnais, rien n’est plus céleste que la vertu sereine et réfléchie, rien n’est plus respectable qu’une femme comme Mme Georges, qui, élevée par une mère pieuse et bonne dans une intelligente observance de tous les devoirs, n’y a jamais failli… jamais ! et a vaillamment traversé les plus effroyables épreuves. Mais n’est-ce pas aussi honorer Dieu, dans ce qu’il a de plus divin, que de retirer de la fange une de ces rares natures qu’il s’est complu à douer ?… Ne mérite-t-elle pas aussi pitié, intérêt, respect… oui, respect, la malheureuse enfant qui, abandonnée à son seul instinct ; qui, torturée, emprisonnée, avilie, souillée, a saintement conservé, au fond de son cœur, les nobles germes que Dieu y avait semés ? Si tu l’avais entendue, cette pauvre créature, au premier mot d’intérêt que je lui ai dit, à la première parole honnête et amie qu’elle ait entendue, comme les plus charmants instincts, les goûts les plus purs, les pensées les plus délicates, les plus poétiques, se sont éveillés en foule dans son âme ingénue, de même qu’au printemps les mille fleurs sauvages des prairies éclosent au moindre rayon de soleil… sans le savoir ! Dans cet entretien d’une heure avec un pauvre ouvrier, j’ai découvert dans Fleur-de-Marie des trésors de bonté, de grâce, de sagesse, oui, de sagesse, mon vieux Murph. Un sourire m’est venu aux lèvres et une larme m’est venue aux yeux, lorsque dans son gentil babil, rempli de raison, elle m’a prouvé que je devais économiser quarante sous par jour, pour être au-dessus des besoins et des mauvaises tentations. Pauvre petite, elle disait cela d’un ton si sérieux, si pénétré ! elle éprouvait une si douce satisfaction à me donner un sage conseil, une si douce joie à m’entendre promettre que je le suivrais !… J’étais ému… oh ! ému jusqu’aux larmes, je te l’ai dit… Et l’on m’accuse d’être blasé, dur, inflexible… Oh ! non, non, grâce à Dieu ! quelquefois je sens encore mon cœur battre ardent et généreux… Mais toi-même tu es attendri, mon vieil ami… Allons, Fleur-de-Marie ne sera pas jalouse de Mme Georges, tu t’intéresses aussi à son sort.
 
– C’est vrai, monseigneur… Ce trait de vous faire économiser quarante sous par jour… vous croyant ouvrier… au lieu de vous engager à faire de la dépense pour elle… oui, ce trait-là me touche plus qu’il ne devrait peut-être.
 
– Et quand je songe que cette enfant a une mère riche, honorée, dit-on, qui l’a indignement abandonnée… Oh ! si cela est… je le saurai, je l’espère… et je te dirai comment. Oh ! si cela est ! malheur… malheur à cette femme ! elle aura une terrible expiation à subir… Murph, Murph… jamais je ne me suis senti des élans de haine plus implacable qu’en songeant à cette femme que je ne connais pas. Tu le sais, Murph… tu le sais… certaines vengeances me sont bien chères… certaines souffrances bien précieuses… j’ai bien soif de certaines larmes !
 
– Hélas ! monseigneur, dit Murph, affligé de l’expression d’infernale méchanceté qui se peignait sur les traits de Rodolphe en parlant ainsi, je le sais, ceux qui méritent intérêt et compassion ont souvent dit de vous : « C’est donc un bon ange ! » Ceux qui méritent mépris et haine se sont écriés, en vous maudissant, dans leur désespoir : « C’est donc le démon !… »
 
– Tais-toi, voici Mme Georges et Marie… Fais tout préparer pour notre départ ; il faut être à Paris de bonne heure.
 


[1] Célèbre professeur de savate.