VII
La visite
Jeanne Duport, à la pensée de sa fille, s’était mise à pleurer amèrement.
– Pardon, lui dit la Lorraine attristée, pardon, si je vous ai fait de la peine sans le vouloir en vous parlant de vos enfants… Ils sont peut-être malades aussi ?
– Hélas ! mon Dieu… je ne sais pas ce qu’ils vont devenir si je reste ici plus de huit jours.
– Et votre mari ?
Après un moment de silence, Jeanne reprit en essuyant ses larmes :
– Puisque nous sommes amies ensemble, la Lorraine, je peux vous dire mes peines, comme vous m’avez dit les vôtres… cela me soulagera… Mon mari était un bon ouvrier ; il s’est dérangé, puis il m’a abandonnée, moi et mes enfants, après avoir vendu tout ce que nous possédions ; je me suis remise au travail, de bonnes âmes m’ont aidée, je commençais à être un peu à flot, j’élevais ma petite famille du mieux que je pouvais, quand mon mari est revenu, avec une mauvaise femme qui était sa maîtresse, me reprendre le peu que je possédais, et ç’a été encore à recommencer.
– Pauvre Jeanne, vous ne pouviez pas empêcher cela ?
– Il aurait fallu me séparer devant la loi ; mais la loi est trop chère, comme dit mon frère. Hélas ! mon Dieu, vous allez voir ce que ça fait que la loi soit trop chère pour nous, pauvres gens. Il y a quelques jours je retourne voir mon frère, il me donne trois francs qu’il avait ramassés à conter des histoires aux autres prisonniers.
– On voit que vous êtes bien bons cœurs dans votre famille, dit la Lorraine qui, par une rare délicatesse d’instinct, n’interrogea pas Jeanne sur la cause de l’emprisonnement de son frère.
– Je reprends donc courage, je croyais que mon mari ne reviendrait pas de longtemps, car il avait pris chez nous tout ce qu’il pouvait prendre. Non, je me trompe, ajouta la malheureuse en frissonnant ; il lui restait à prendre ma fille… ma pauvre Catherine…
– Votre fille ?
– Vous allez voir… vous allez voir. Il y a trois jours, j’étais à travailler avec mes enfants autour de moi ; mon mari entre. Rien qu’à son air, je m’aperçois tout de suite qu’il a bu. « Je viens chercher Catherine », qu’il me dit. Malgré moi je prends le bras de ma fille et je réponds à Duport : « Où veux-tu l’emmener ? « – Ça ne te regarde pas, c’est ma fille ; qu’elle fasse son paquet et qu’elle me suive. » À ces mots-là, mon sang ne fait qu’un tour, car figurez-vous, la Lorraine, que cette mauvaise femme qui est avec mon mari… ça fait frémir à dire, mais enfin… c’est ainsi… elle le pousse depuis longtemps à tirer parti de notre fille – qui est jeune et jolie. Dites, quel monstre de femme !
– Ah ! oui, c’est un vrai monstre.
« – Emmener Catherine ! que je réponds à Duport, jamais ; je sais ce que ta mauvaise femme voudrait en faire. – Tiens, me dit mon mari, dont les lèvres étaient déjà toutes blanches de colère, ne m’obstine pas ou je t’assomme. » Là-dessus il prend ma fille par le bras en lui disant : « En route ! Catherine. » La pauvre petite me saute au cou en fondant en larmes et criant : « Je veux rester avec maman ! » Voyant ça, Duport devient furieux : il arrache ma fille d’après moi, me donne un coup de poing dans l’estomac qui me renverse par terre, et une fois par terre… une fois par terre… Mais voyez-vous, la Lorraine, dit la malheureuse femme en s’interrompant, bien sûr il n’a été si méchant que parce qu’il avait bu… enfin il trépigne sur moi… en m’accablant de sottises…
– Faut-il être méchant, mon Dieu !
– Mes pauvres enfants se jettent à ses genoux en demandant grâce ; Catherine aussi ; alors il dit à ma fille en jurant comme un furieux : « Si tu ne viens pas avec moi, j’achève ta mère ! » Je vomissais le sang… je me sentais à moitié morte… je ne pouvais pas faire un mouvement… mais je crie à Catherine : « Laisse-moi tuer plutôt ! mais ne suis pas ton père ! – Tu ne te tairas donc pas », me dit Duport en me donnant un nouveau coup de pied qui me fit perdre connaissance.
– Quelle misère ! Quelle misère !
– Quand je suis revenue à moi, j’ai retrouvé mes deux petits garçons qui pleuraient.
– Et votre fille ?
– Partie !… s’écria la malheureuse mère, avec un accent et des sanglots déchirants, oui… partie… Mes autres enfants m’ont dit que leur père l’avait battue… la menaçant, en outre, de m’achever sur la place. Alors, que voulez-vous ? la pauvre enfant a perdu la tête… elle s’est jetée sur moi pour m’embrasser… elle a aussi embrassé ses petits frères en pleurant… et puis mon mari l’a entraînée ! Ah ! sa mauvaise femme l’attendait dans l’escalier… j’en suis bien sûre !…
– Et vous ne pouviez pas vous plaindre au commissaire ?
– Dans le premier moment, je n’étais qu’au chagrin de savoir Catherine partie… mais j’ai senti bientôt de grandes douleurs dans tout le corps, je ne pouvais pas marcher. Hélas ! mon Dieu ! ce que j’avais tant redouté était arrivé. Oui, je l’avais dit à mon frère, un jour mon mari me battra si fort… si fort… que je serai obligée d’aller à l’hospice. Alors… mes enfants… qu’est-ce qu’ils deviendront ? Et aujourd’hui m’y voilà, à l’hospice, et… je dis : « Qu’est-ce qu’ils deviendront, mes enfants ? »
– Mais il n’y a donc pas de justice, mon Dieu ! pour les pauvres gens ?
– Trop cher, trop cher pour nous, comme dit mon frère, reprit Jeanne Duport avec amertume. Les voisins avaient été chercher le commissaire… son greffier est venu, ça me répugnait de dénoncer Duport… mais, à cause de ma fille, il l’a fallu. Seulement j’ai dit que dans une querelle que je lui faisais, parce qu’il voulait emmener ma fille, il m’avait poussée… que cela ne serait rien… mais que je voulais revoir Catherine, parce que je craignais qu’une mauvaise femme, avec qui vivait mon mari, ne la débauchât.
– Et qu’est-ce qu’il vous a dit, le greffier ?
– Que mon mari était dans son droit d’emmener sa fille, n’étant pas séparé d’avec moi ; que ce serait un malheur si ma fille tournait mal par de mauvais conseils, mais que ce n’étaient que des suppositions et que ça ne suffisait pas pour porter plainte contre mon mari. « – Vous n’avez qu’un moyen, m’a dit le greffier ; plaidez au civil, demandez une séparation de corps et alors les coups que vous a donnés votre mari, sa conduite avec une vilaine femme, seront en votre faveur, et on le forcera de vous rendre votre fille ; sans cela, il est dans son droit de la garder avec lui. – Mais plaider ! je n’ai pas de quoi, mon Dieu ! j’ai mes enfants à nourrir. – Que voulez-vous que j’y fasse ? a dit le greffier, c’est comme ça. » Oui, reprit Jeanne en sanglotant, il avait raison… c’est comme ça… dans trois mois ma fille sera peut-être une créature des rues ! tandis que si j’avais eu de quoi plaider pour me séparer de mon mari, cela ne serait pas arrivé.
– Mais cela n’arrivera pas ; votre fille doit tant vous aimer !
– Mais elle est si jeune ! À cet âge-là on n’a pas de défense ; et puis la peur, les mauvais traitements, les mauvais conseils, les mauvais exemples, l’acharnement qu’on mettra peut-être à lui faire faire mal ! Mon pauvre frère avait prévu tout ce qui arrive, lui ; il me disait : « Est-ce que tu crois que si cette mauvaise femme et ton mari s’acharnent à perdre cette enfant, il ne faudra pas qu’elle y passe[1] ? » Mon Dieu mon Dieu ! pauvre Catherine, si douce, si aimante ! Et moi qui, cette année encore, lui voulais faire renouveler sa première communion !
– Ah ! vous avez bien de la peine. Et moi qui me plaignais, dit la Lorraine en essuyant ses yeux. Et vos autres enfants ?
– À cause d’eux j’ai fait ce que j’ai pu pour vaincre la douleur et ne pas entrer à l’hôpital, mais je n’ai pu résister. Je vomis le sang trois ou quatre fois par jour, j’ai une fièvre qui me casse les bras et les jambes, je suis hors d’état de travailler. Au moins en étant vite guérie, je pourrai retourner auprès de mes enfants, si avant ils ne sont pas morts de faim ou emprisonnés comme mendiants. Moi ici, qui voulez-vous qui prenne soin d’eux, qui les nourrisse ?
– Oh ! c’est terrible. Vous n’avez donc pas de bons voisins ?
– Ils sont aussi pauvres que moi, et ils ont cinq enfants déjà. Aussi deux enfants de plus ! c’est lourd ; pourtant ils m’ont promis de les nourrir… un peu, pendant huit jours, c’est tout ce qu’ils peuvent, et encore en prenant sur leur pain, et ils n’en ont pas déjà de trop ; il faut donc que je sois guérie dans huit jours ; oh ! oui, guérie ou non, je sortirai tout de même.
– Mais, j’y pense, comment n’avez-vous pas songé à cette bonne petite ouvrière, Mlle Rigolette, que vous avez rencontrée en prison ? elle les aurait gardés, bien sûr, elle.
– J’y ai pensé, et quoique la pauvre petite ait peut-être aussi bien du mal à vivre, je lui ai fait dire ma peine par une voisine : malheureusement elle est à la campagne où elle va se marier, a-t-on dit chez la portière de sa maison.
– Ainsi dans huit jours… vos pauvres enfants… Mais non, vos voisins n’auront pas le cœur de les renvoyer.
– Mais que voulez-vous qu’ils fassent ? Ils ne mangent pas déjà selon leur faim, et il faudra encore qu’ils retirent aux leurs pour donner aux miens. Non, non, voyez-vous, il faut que je sois guérie dans huit jours ; je l’ai demandé à tous les médecins qui m’ont interrogée depuis hier, mais ils me répondaient en riant : « C’est au médecin en chef qu’il faut s’adresser pour cela. » Quand viendra-t-il donc, le médecin en chef, la Lorraine ?
– Chut ! je crois que le voilà ; il ne faut pas parler pendant qu’il fait sa visite, répondit tout bas la Lorraine.
En effet, pendant l’entretien des deux femmes, le jour était venu peu à peu.
Un mouvement tumultueux annonça l’arrivée du docteur Griffon, qui entra bientôt dans la salle, accompagné de son ami le comte de Saint-Remy, qui, portant, on le sait, un vif intérêt à Mme de Fermont et à sa fille, était loin de s’attendre à trouver cette malheureuse jeune fille à l’hôpital.
En entrant dans la salle, les traits froids et sévères du docteur Griffon semblèrent s’épanouir : jetant autour de lui un regard de satisfaction et d’autorité, il répondit d’un signe de tête protecteur à l’accueil empressé des sœurs.
La rude et austère physionomie du vieux comte de Saint-Remy était empreinte d’une profonde tristesse. La vanité de ses tentatives pour retrouver les traces de Mme de Fermont, l’ignominieuse lâcheté du vicomte, qui avait préféré à la mort une vie infâme, l’écrasaient de chagrin.
– Eh bien ! dit au comte le docteur Griffon d’un air triomphant, que pensez-vous de mon hôpital ?
– En vérité, répondit M. de Saint-Remy, je ne sais pourquoi j’ai cédé à votre désir ; rien n’est plus navrant que l’aspect de ces salles remplies de malades. Depuis mon entrée ici, mon cœur est cruellement serré.
– Bah ! bah ! dans un quart d’heure vous n’y penserez plus ; vous qui êtes philosophe, vous trouverez ample matière à observations ; et puis enfin il était honteux que vous, un de mes plus vieux amis, vous ne connussiez pas le théâtre de ma gloire, de mes travaux, et que vous ne m’eussiez pas encore vu à l’œuvre. Je mets mon orgueil dans ma profession ; est-ce un tort ?
– Non, certes ; et après vos excellents soins pour Fleur-de-Marie, que vous avez sauvée, je ne pouvais rien vous refuser. Pauvre enfant ! quel charme touchant ses traits ont conservé malgré la maladie !
– Elle m’a fourni un fait médical fort curieux, je suis enchanté d’elle. À propos, comment a-t-elle passé cette nuit ? L’avez-vous vue ce matin avant de partir d’Asnières ?
– Non ; mais la Louve, qui la soigne avec un dévouement sans pareil, m’a dit qu’elle avait parfaitement dormi. Pourrait-on aujourd’hui lui permettre d’écrire ?
Après un moment d’hésitation, le docteur répondit :
– Oui… Tant que le sujet n’a pas été complètement rétabli, j’ai craint pour lui la moindre émotion, la moindre tension d’esprit ; mais maintenant je ne vois aucun inconvénient à ce qu’elle écrive.
– Au moins elle pourra prévenir les personnes qui s’intéressent à elle…
– Sans doute… Ah çà ! vous n’avez rien appris de nouveau sur le sort de Mme de Fermont et de sa fille ?
– Rien, dit M. de Saint-Remy en soupirant. Mes constantes recherches n’ont eu aucun résultat. Je n’ai plus d’espoir que dans Mme la marquise d’Harville, qui, m’a-t-on dit, s’intéresse vivement aussi à ces deux infortunées ; peut-être a-t-elle quelques renseignements qui pourront me mettre sur la voie. Il y a trois jours je suis allé chez elle ; on m’a dit qu’elle arriverait d’un moment à l’autre. Je lui ai écrit à ce sujet, la priant de me répondre le plus tôt possible.
Pendant l’entretien de M. de Saint-Remy et du docteur Griffon, plusieurs groupes s’étaient peu à peu formés autour d’une grande table occupant le milieu de la salle ; sur cette table était un registre où les élèves attachés à l’hôpital, et que l’on reconnaissait à leurs longs tabliers blancs, venaient tour à tour signer la feuille de présence ; un grand nombre de jeunes étudiants studieux et empressés arrivaient successivement du dehors pour grossir le cortège scientifique du docteur Griffon, qui, ayant devancé de quelques minutes l’heure habituelle de sa visite, attendait qu’elle sonnât.
– Vous voyez, mon cher Saint-Remy, que mon état-major est assez considérable, dit le docteur Griffon avec orgueil en montrant la foule qui venait assister à ses enseignements pratiques.
– Et ces jeunes gens vous suivent au lit de chaque malade ?
– Ils ne viennent que pour cela.
– Mais tous ces lits sont occupés par des femmes.
– Eh bien ?
– La présence de tant d’hommes doit leur inspirer une confusion pénible.
– Allons donc, un malade n’a pas de sexe.
– À vos yeux peut-être ; mais aux siens, la pudeur, la honte…
– Il faut laisser ces belles choses-là à la porte, mon cher Alceste ; ici nous commençons sur le vivant des expériences et des études que nous finissons à l’amphithéâtre sur le cadavre.
– Tenez, docteur, vous êtes le meilleur et le plus honnête des hommes. Je vous dois la vie, je reconnais vos excellentes qualités ; mais l’habitude et l’amour de votre art vous font envisager certaines questions d’une manière qui me révolte… Je vous laisse…, dit M. de Saint-Remy en faisant un pas pour quitter la salle.
– Quel enfantillage ! s’écria le docteur Griffon en le retenant.
– Non, non, il est des choses qui me navrent et m’indignent ; je prévois que ce serait un supplice pour moi que d’assister à votre visite. Je ne m’en irai pas, soit ; mais je vous attends ici, près de cette table.
– Quel homme vous êtes avec vos scrupules ! Mais je ne vous tiens pas quitte. J’admets qu’il serait fastidieux pour vous d’aller de lit en lit ; restez donc là, je vous appellerai pour deux ou trois cas assez curieux.
– Soit, puisque vous y tenez absolument ; cela me suffira, et de reste.
Sept heures et demie sonnèrent.
– Allons, messieurs, dit le docteur Griffon. Et il commença sa visite, suivi d’un nombreux auditoire.
En arrivant au premier lit de la rangée droite, dont les rideaux étaient fermés, la sœur dit au docteur :
– Monsieur, le n° 1 est mort cette nuit à quatre heures et demie du matin.
– Si tard ? cela m’étonne ; hier matin je ne lui aurais pas donné la journée. A-t-on réclamé le corps ?
– Non, monsieur le docteur.
– Tant mieux ; il est beau, on ne pratiquera pas d’autopsie ; je vais faire un heureux. Puis, s’adressant à un des élèves de sa suite : – Mon cher Dunoyer, il y a longtemps que vous désirez un sujet ; vous êtes inscrit le premier, celui-ci est à vous.
– Ah ! monsieur, que de bontés !
– Je voudrais plus souvent récompenser votre zèle, mon cher ami ; mais marquez le sujet, prenez possession… il y a tant de gaillards âpres à la curée… Et le docteur passa outre.
L’élève, à l’aide d’un scalpel, incisa très-délicatement un F et un D (François Dunoyer) sur le bras de l’actrice défunte[2], pour prendre possession, comme disait le docteur.
Et la visite continua.
– La Lorraine, dit tout bas Jeanne Duport à sa voisine, qu’est-ce donc que tout ce monde qui suit le médecin ?
– Ce sont des élèves et des étudiants.
– Oh ! mon Dieu, est-ce que tous ces jeunes gens seront là lorsque le médecin va m’interroger et me regarder ?
– Hélas ! oui.
– Mais c’est à la poitrine que j’ai mal… On ne m’examinera pas devant tous ces hommes ?
– Si, si, il le faut, ils le veulent. J’ai assez pleuré la première fois, je mourais de honte. Je résistais, on m’a menacée de me renvoyer. Il a bien fallu me décider ; mais cela m’a fait une telle révolution, que j’en ai été bien plus malade. Jugez donc, presque nue devant tant de monde, c’est bien pénible, allez !
– Devant le médecin lui seul, je comprends ça, si c’est nécessaire, et encore ça coûte beaucoup. Mais, pourquoi devant tous ces jeunes gens ?…
– Ils apprennent et on leur enseigne sur nous… Que voulez-vous ? nous sommes ici pour ça… c’est à cette condition qu’on nous reçoit à l’hospice.
– Ah ! je comprends, dit Jeanne Duport avec amertume, on ne nous donne rien pour rien, à nous autres. Mais pourtant, il y a des occasions où ça ne peut pas être. Ainsi ma pauvre fille Catherine, qui a quinze ans, viendrait à l’hospice, est-ce qu’on oserait vouloir que devant tous ces jeunes gens… ? Oh ! non, je crois que j’aimerais mieux la voir mourir chez nous.
– Si elle venait ici, il faudrait bien qu’elle se résignât comme les autres, comme vous, comme moi ; mais taisons-nous, dit la Lorraine. Si cette pauvre demoiselle qui est là en face vous entendait, elle qui, dit-on, était riche, elle qui n’a peut-être jamais quitté sa mère, ça va être son tour. Jugez comme elle va être confuse et malheureuse.
– C’est vrai, mon Dieu ! c’est vrai ; je frissonne rien que d’y penser, pour elle. Pauvre enfant !
– Silence, Jeanne, voilà le médecin ! dit la Lorraine.
[1] Nous rappellerons au lecteur que le père ou la mère sont admis à faire inscrire leur fille sur le livre de prostitution au bureau des mœurs. [2] Personne n’est plus convaincu que nous du savoir et de l’humanité de la jeunesse studieuse et éclairée qui se voue à l’apprentissage de l’art de guérir ; nous voudrions seulement que quelques-uns des maîtres qui l’enseignent nous donnassent de plus fréquents exemples de cette réserve compatissante, de cette douceur charitable qui peut avoir une si salutaire influence sur le moral des malades.